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LE LÉVRIER DE MAGNUS.


Mais, une nuit, des serfs, du fond de leurs taudis,
Derrière la muraille hier déserte encore
Ont vu luire des feux de leurs yeux interdits.

Quand, comment et par où revint-il ? On l’ignore.
C’est bien lui cependant, sur le sombre rocher
Qui le verra mourir et qui vit son aurore.

Les moines ni les clercs n’osent plus l’approcher ;
Aux cavités de la chapelle centenaire
L’orfraie et le hibou, seuls, sont venus nicher.

Il vit là désormais, sur le haut de son aire,
Dans le donjon moussu qu’ont noirci tour à tour
Les hivers, les étés, la pluie et le tonnerre.

Et derrière les murs lézardés de la tour
Il a, pour compagnons de sa vieillesse impie,
Trois Sarrasins muets ramenés au retour.

Chacun, baron ou serf, s’inquiète et l’épie ;
Mais nul n’a franchi l’huis barré de fer du seuil.
On ne sait ce qu’il fait ou quel crime il expie.

Un souffle d’épouvante, un air chargé de deuil
Plane autour du Croisé qui ne prie et ne chasse,
Et qui s’est clos, vivant, dans ce morne cercueil.

Les voyageurs qui vont de Thuringe en Alsace
Passent en hâte, par les sentiers détournés,
Et se signent trois fois, et parlent à voix basse.