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LES ÉRINNYES.

Aigisthe est là, prends garde ! — Ô frère bien aimé,
Sais-tu l’enchaînement des noires Destinées,
Le meurtre de ton père après les dix années,
Et la femme sanglante, et l’impudique amant ?


ORESTÈS.

J’ai vécu dans l’opprobre et l’asservissement,
Ployant mon cou rebelle au joug d’un maître rude ;
Mais d’anciens souvenirs hantaient ma solitude,
Mille images : un homme aux yeux fiers, calme et grand
Comme un Dieu ; puis, sans cesse, un peuple murmurant
De serviteurs joyeux empressés à me plaire ;
Des femmes, un autel, la maison séculaire,
Et les jeux de l’enfance, et l’aurore, et la nuit ;
Puis, dans l’ombre, un grand char qui m’emporte et s’enfuit
Et l’injure, et les coups, et le haillon servile,
L’eau de la pluie après la nourriture vile ;
Et toujours ce long rêve en mon cœur indompté,
Que je sortais d’un sang fait pour la liberté !
Et j’ai grandi, j’ai su les actions célèbres :
Ilios enflammée au milieu des ténèbres,
La gloire du retour, le meurtre forcené,
Et le nom de mon père, et de qui j’étais né !
Oh ! quel torrent de joie a coulé dans mes veines !
Comme j’ai secoué mon joug, brisé mes chaînes,
Et, poussant des clameurs d’ivresse aux cieux profonds,
Vers la divine Argos précipité mes bonds !


ÉLEKTRA.

Ô fils d’un héros mort, crains ta mère inhumaine !