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L’ILLUSION SUPRÊME.


Ô chère Vision, toi qui répands encore,
De la plage lointaine où tu dors à jamais,
Comme un mélancolique et doux reflet d’aurore
Au fond d’un cœur obscur et glacé désormais !

Les ans n’ont pas pesé sur ta grâce immortelle,
La tombe bienheureuse a sauvé ta beauté :
Il te revoit, avec tes yeux divins, et telle
Que tu lui souriais en un monde enchanté !

Mais quand il s’en ira dans le muet mystère
Où tout ce qui vécut demeure enseveli,
Qui saura que ton âme a fleuri sur la terre,
Ô doux rêve, promis à l’infaillible oubli ?

Et vous, joyeux soleils des naïves années,
Vous, éclatantes nuits de l’infini béant,
Qui versiez votre gloire aux mers illuminées,
L’esprit qui vous songea vous entraîne au néant.

Ah ! tout cela, jeunesse, amour, joie et pensée,
Chants de la mer et des forêts, souffles du ciel
Emportant à plein vol l’Espérance insensée,
Qu’est-ce que tout cela, qui n’est pas éternel ?

Soit ! la poussière humaine, en proie au temps rapide,
Ses voluptés, ses pleurs, ses combats, ses remords,
Les Dieux qu’elle a conçus et l’univers stupide
Ne valent pas la paix impassible des morts.