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LA CHASSE DE L’AIGLE


Quand il jette un appel vers les cieux éclatants,
La harde, qui tressaille à sa voix fière et brève,
Accourt, l’oreille droite et les longs crins flottants.

L’aigle tombe sur lui comme un sinistre rêve,
S’attache au col troué par ses ongles de fer
Et plonge son bec courbe au fond des yeux qu’il crève.

Cabré, de ses deux pieds convulsifs battant l’air,
Et comme empanaché de la bête vorace,
L’étalon fait dans l’ombre ardente de l’enfer.

Le ventre contre l’herbe, il fuit, et, sur sa trace,
Ruisselle de l’orbite excave un flux sanglant ;
Il fuit, et son bourreau le mange et le harasse.

L’agonie en sueur fait haleter son flanc ;
Il renâcle, et secoue, enivré de démence,
Cette grande aile ouverte et ce bec aveuglant.

Il franchit, furieux, la solitude immense,
S’arrête brusquement, sur ses jarrets ployé,
S’abat et se relève et toujours recommence.

Puis, rompu de l’effort en vain multiplié,
L’écume aux dents, tirant sa langue blême et rêche,
Par la steppe natale il tombe foudroyé.