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SI L’AURORE.


Avec ses bardeaux roux jaspés de mousses d’or
Et sa varangue basse aux stores de Manille,
À l’ombre des manguiers où grimpe la vanille
Si la maison du cher aïeul repose encor ;

Ô doux oiseaux bercés sur l’aigrette des cannes,
Ô lumière, ô jeunesse, arome de nos bois,
Noirs ravins qui, le long de vos âpres parois,
Exhalez au soleil vos brumes diaphanes !

Salut ! Je vous salue, ô montagnes, ô cieux,
Du paradis perdu visions infinies,
Aurores et couchants, astres des nuits bénies,
Qui ne resplendirez jamais plus dans mes yeux !

Je vous salue, au bord de la tombe éternelle,
Rêve stérile, espoir aveugle, désir vain,
Mirages éclatants du mensonge divin
Que l’heure irrésistible emporte sur son aile !

Puisqu’il n’est, par delà nos moments révolus,
Que l’immuable oubli de nos mille chimères,
À quoi bon se troubler des choses éphémères ?
À quoi bon le souci d’être ou de n’être plus ?

J’ai goûté peu de joie, et j’ai l’âme assouvie
Des jours nouveaux non moins que des siècles anciens.
Dans le sable stérile où dorment tous les miens
Que ne puis-je finir le songe de ma vie !