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Page:Leconte de Lisle - Contes en prose, 1910.djvu/132

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sacatove

sur le piton rouge du Bernica, à 1 200 toises environ du niveau de la mer. Mais, hélas ! les créoles prennent volontiers pour devise le nil admirari d’Horace. Que leur font les magnificences de la nature ? que leur importe l’éclat de leurs nuits sans pareilles ? Ces choses ne trouvent guère de débouché sur les places commerciales de l’Europe ; un rayon de soleil ne pèse pas une balle de sucre, et les quatre murs d’un entrepôt réjouissent autrement leurs regards que les plus larges horizons. Pauvre nature ! admirable de force et de puissance, qu’importe à tes aveugles enfants ta merveilleuse beauté ? On ne la débite ni en détail ni en gros : tu ne sers à rien. Va ! alimente de rêves creux le cerveau débile des rimeurs et des artistes ; le créole est un homme grave avant l’âge, qui ne se laisse aller qu’aux profits nets et clairs, au chiffre irréfutable, aux sons harmonieux du métal monnayé. Après cela, tout est vain, — amour, amitié, désir de l’inconnu, intelligence et savoir ; tout cela ne vaut pas un grain de café. — Et ceci est encore vrai, ô lecteur, très vrai, et très déplorable ! Les plus froids et les plus apathiques des hommes ont été placés sous le plus splendide et le plus vaste ciel du monde, au sein de l’océan infini, afin qu’il fût bien constaté que l’homme de ce temps-ci est l’être immoral par excellence. Est-il, en effet, une immoralité plus flagrante que l’indifférence et le mépris de la beauté ? Est-il quelque chose de plus