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la rivière des songes

Georges s’inclina sur la belle main qui lui était offerte et y laissa tomber la première larme qui fût encore sortie de ses yeux.

Ici nous supplions le lecteur de nous pardonner les quelques lignes suivantes ; elles sont lyriques, mais elles brûlent de s’échapper du bec de notre plume.

— Ô première larme de l’amour, comme une perle limpide Dieu te dépose au matin sur la jeunesse en fleur ! Heureux qui te garde des ardentes clartés de la vie et te recueille pieusement au plus profond de son cœur ! Les jours heureux passeront pour ne plus revenir ; la femme aimée oubliera le nom de l’amant ; le monde emportera dans ses flots au tumulte stérile les débris du premier paradis ; la vieillesse glacera le sang des veines et courbera le front vers la tombe… Mais si tu baignes encore le cœur qui a aimé, ô chère larme ! si ta fraîcheur printanière a préservé la fleur divine de l’idéal des atteintes du soleil ; si rien n’a terni ta chaste transparence… Ô première larme de l’amour, la mort peut venir… tu nous auras baptisés pour la vie éternelle !…

La yole aborda en face de la maison, et M. Polwis, suivi du cousin John Wood, vint à la rencontre de Georges et d’Édith.

Le cousin John n’était pas gai, tant s’en fallait ; ses yeux noirs lançaient des éclairs menaçants qui présageaient la tempête. La face sereine de M. Polwis respirait en revanche