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mon premier amour en prose

bord d’une large chaussée plantée de tamarins et de bois noirs à touffes blanches. Des groupes de dames et de jeunes filles passaient à mes côtés, avec celles de leurs caméristes noires qui portaient leurs livres et leurs éventails de plumes ; et tout ce cortège, vert, blanc, rose et bleu, ondulait autour de moi sans que j’y prisse garde. Il me serait difficile de préciser les véritables causes de ma distraction ; mais si l’on était désireux de les apprécier, c’était peut-être que deux sénégalis entrelaçaient sur les palmes voisines la cendre nacrée de leurs ailes ; ou qu’une de ces larges araignées écarlates et noires qui tendent leurs fils d’argent d’un tamarin à l’autre, se laissait bercer au soleil du matin par la brise de mer, comme un gros rubis jaspé de jais ; — ou bien que la brume des montagnes, que la chaleur n’avait pas encore absorbée, flottait comme un voile de gaze brochée d’or, sur les dentelures aériennes des mornes ; mais peut-être aussi, était-ce que je ne pensais à rien et que je marchais sans voir. Que sais-je ? Aucune de ces différentes causes de distraction n’était impossible, pas même la dernière ; et si le lecteur veut bien m’indiquer celle d’entre elles qui mérite le plus son choix judicieux ou le suffrage éclairé de sa science psychologique, je m’empresserai d’être de son avis. Quoi qu’il en soit, nous arrivâmes bientôt à l’église et la messe commença.