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une peau de tigre

et l’extrémité d’un long sabre de cavalerie apparaissait par intervalles sous les bords du manteau soulevé par la course tourmentée du cheval. Ce jeune homme se nommait lord Henry Sommerset, héritier d’une pairie et de plusieurs millions de revenus, à qui son amour pour miss Edith Polwis, du Cap, faisait braver pendant la nuit la savane et la Montagne des Tigres, retraite actuelle d’un royal indou, échappé de la ménagerie d’un naturaliste français. Cependant lord Henry se penchait souvent avec impatience sur le cou de son cheval, comme pour interroger la route qui fuyait et se perdait au loin dans la brume ; puis il reportait ses regards vers la cime de la Table d’où s’élançaient des torrents de vapeurs dispersées par la brise de la terre. La nuit descendait rapidement, et bientôt la route devint tellement sombre que ce ne fut qu’après plusieurs tentatives vaines que le sentier étroit qui coupe diagonalement la savane du Cap s’ouvrit, et se referma derrière le jeune lord. — Pendant une longue demi-heure, le cheval passa comme un éclair au travers des hautes herbes qui s’abaissaient et se relevaient sous lui avec un frissonnement sec. Nul obstacle caché ne l’arrêtait, car outre l’excellence de ses mouvements, le sentier était généralement peu accidenté. Cependant lorsqu’il fut arrivé vers la partie la plus affaissée du terrain, lord Henry sembla entendre bien loin derrière lui un bruit sourd dont il ne put