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Page:Leconte de Lisle - Contes en prose, 1910.djvu/67

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le songe d’hermann

sortaient des touffes de jonc et des arbustes épais. Ô douce quiétude ! ô belles heures du jeune âge, vous êtes-vous enfuies ? L’étang sourit-il toujours aux enfants curieux ? Les grands arbres s’agitent-ils toujours graves et majestueux ? La blanche maison regarde-t-elle encore la vaste prairie qui s’étendait à ses pieds comme un tapis velouté ? Et la petite fille aux yeux bleus, aux cheveux blonds, qui venait quelquefois jouer avec son ami Hermann, qu’est-elle devenue ? mariée sans doute, c’est-à-dire morte ! Demain, demain, je saurai tout cela. (Un silence. — Le rossignol chante.)

Chante, douce lyre de la nuit, harmonie vivante de la solitude ! Chante mélodieusement ton hymne à Dieu. Voix charmante, que tu es pure et limpide ! Dans ta pudeur sublime, tu attends l’heure du sommeil universel, alors que les habitants du ciel descendent seuls ici-bas. Chante, tu remplis mon cœur d’un ineffable sentiment de douce tristesse. Chante ! tu es pour moi comme le prélude d’une voix plus chère encore, et qu’il me sera donné d’entendre un jour, sur la terre ou dans le ciel, la voix de la femme que j’aime et qui m’aimera. Ô doux oiseau, ne serais-tu pas sa voix elle-même ? (Le rossignol se tait.)

Je l’ai effrayé. Si c’était un présage ! Allons, il faut dormir