Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/259

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soi, qu’elle n’enseigne rien et ne modifie rien. Il ne s’agit ici que de penser librement.

C’est ce que je vais faire.

M. de Lamartine est arrivé à la gloire sans lutte, sans fatigue, par des voies largement ouvertes. Ses premières paroles ont ému les âmes attentives et bienveillantes au moment propice, ni trop tôt ni trop tard, à l’heure précise où il leur a plu de s’attendrir sur elles-mêmes, où la phtisie intellectuelle, les vagues langueurs et le goût dépravé d’une sorte de mysticisme mondain attendaient leur poète. Il vint, chanta et fut adoré. Les germes épidémiques de mélancolie bâtarde qu’avait répandus çà et là la Chute des feuilles se reprenaient à la vie et s’épanouissaient au soleil factice du Génie du Christianisme. Le grand Byron, mille fois plus religieux et plus tourmenté de toutes les inquiétudes sublimes, achevait alors d’écrire ses poèmes immortels au milieu des huées et des anathèmes imbéciles. Le jeune et indifférent auteur des Méditations eut l’irréparable malheur de réprimander avec une sévérité quelque peu puérile le poète de Caïn et de Manfred, aux applaudissements injurieux des niais et des hypocrites.

Il n’est pas bon de plaire ainsi à une foule quelconque. Un vrai poète n’est jamais l’écho systématique ou involontaire de l’esprit public. C’est aux autres hommes à sentir et à penser comme lui. Le culte de l’Art a ses initiateurs et ses prêtres qui mènent la multitude au temple et ne l’y suivent pas. J’en prends à témoin le plus énergique lutteur de ce temps-ci, la plus vigoureuse nature d’artiste que je sache, l’homme qui a soutenu pendant