Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/263

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tâche ; mais les parties admirables qui s’y rencontrent sont de premier ordre.

En relisant ces vers, oubliés de l’auteur lui-même, aujourd’hui absorbé par un travail effréné de prose hâtive, je cherche à me rendre compte du dédain singulier qu’il professe pour la Poésie, à laquelle il doit toute sa renommée. Est-ce un excès de fatuité, est-ce une perturbation mentale ? Est-ce le désir de plaire à la race impure des Philistins modernes ? Rien de cela. La sincérité de ce dédain est entière. M. de Lamartine n’est pas né croyant : c’est un esprit radicalement sceptique. La foi, l’amour, la poésie n’ont été pour lui que des matières d’amplifications brillantes. S’il n’en était pas ainsi, jamais ces tristes blasphèmes ne seraient tombés de ses lèvres. On peut brûler, on peut maudire ce qu’on a adoré, mais on ne l’avilit qu’en s’avilissant soi-même. Aucun, s’il n’est frappé de démence, ne peut nier la lumière que ses yeux ont une fois contemplée. Or, M. de Lamartine est en pleine possession de sa raison ; s’il dédaigne, s’il nie, c’est qu’il ne voit ni ne croit. Son irresponsabilité ne fait pas doute.

Imagination abondante, intelligence douée de mille désirs ambitieux et nobles, mais changeants, plutôt que d’aptitudes réelles ; nature d’élite, destinée heureuse, éclatante, qui s’est levée dans un ciel pur et beau comme elle-même, et qui se dissipe maintenant dans une nuée sombre avant de descendre sous l’horizon ; homme rare assurément, poète souvent très admirable, M. de Lamartine laissera derrière lui, comme une expiation, cette multitude d’esprits avortés, loquaces et stériles, qu’il a engendrés et conçus, pleureurs selon la formule, cervelles