Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/268

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les Contemplations, la Légende des Siècles, et quels excès ! J’avoue volontiers que les saines doctrines académiques s’en accommodent peu. Les jets d’eau de nos jardins publics ont aussi plus de retenue et de mesure que les éruptions volcaniques ; mais j’ose avancer, avec la timidité convenable, que celles-ci ont un caractère plus saisissant que ceux-là. Nous habitons un climat tempéré, nous sommes honnêtes et modérés, nous ne sommes ni grands ni petits, nous sommes doués du bon sens gaulois ; mais, hélas ! la poésie est un excès dont nous ne nous rendrons jamais coupables. La virtuosité du peuple français est et sera toujours une chimère éternelle, car, dans le monde de l’art, le peuple français est aveugle et sourd.

Victor Hugo voit et entend. Le regard qu’il jette sur la nature est large et profond ; son œil saisit le détail infini et l’ensemble des formes, des couleurs, des jeux d’ombre et de lumière. Son oreille perçoit les bruits vastes, les rumeurs confuses et la netteté des sons particuliers dans le chœur général. Ces perceptions diverses, qui affluent incessamment en lui, s’animent et jaillissent en images vivantes, toujours précises dans leur abondance sonore, toujours justes dans leur accumulation formidable ou dans leur charme irrésistible. Qu’importent les scories qui se mêlent à cette lave ! Elles s’y consument et s’y engloutissent.

Gardons-nous de croire, comme la multitude des esprits superficiels, que le grand artiste ne possède cette vision complète de la beauté objective qu’au détriment de la réflexion. Ce serait, en vérité, quelque chose d’inexplicable. Avoir des idées et mal écrire sont, en France,