Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/75

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Non ! Mais l’essaim vorace, impossible à saisir,
Des moustiques vibrant dans la nuit lourde et chaude,
Moins avide que vous, se multiplie et rôde ;
Vos cœurs sont consumés d’un éternel désir.

Écoutez, Blancs ! Ma race était l’antique aïeule
Des hommes qu’autrefois, loin du soleil levant,
Nos Dieux avaient portés sur les ailes du vent
Dans l’Île solitaire où la foudre errait seule.

Le divin Mahouï, de son dos musculeux,
Y remuait encor les montagnes surgies
Et dans leurs cavités soufflait ses énergies
Qui flamboyaient d’en haut sur leurs abîmes bleus.

Et les temps s’écoulaient, et, de la base au faîte,
Le bloc géant, couvert d’écume et de limons,
Fut stable, et les forêts verdirent sur les monts,
Et le Dieu s’endormit, son œuvre étant parfaite.

Il s’endormit dans Pô, la noire Nuit sans fin,
D’où vient ce qui doit naître, où ce qui meurt retombe,
Ombre d’où sort le jour, l’origine et la tombe,
Dans l’insondable Pô, le Réservoir divin.

Et, palpitants, éclos de la chaleur féconde,
Les germes de la Vie, épars au fond du sol,
Pour semer leurs essaims vagabonds à plein vol,
Ouvrirent par milliers les entrailles du monde.