Page:Leconte de Lisle - Discours, 1887.djvu/44

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du paradis de votre enfance et de vos rêves. Mais si l’on n’emporte pas le sol de la patrie à la semelle de ses souliers, on en emporte l’âme dans le cœur de son âme, quand on est un poète comme vous, et c’était bien au soleil de l’extrême Orient que vos jeunes disciples venaient se réchauffer et s’éclairer.

N’est-ce pas Boudha qui reconnaissant, après de longues méditations solitaires, l’insuffisance de l’enseignement brahmanique, même celui d’Aarata-Talama, le grand brahmane de Vaïçali, même celui de Roudraka, le grand prêtre de Radjagripa, se sépara de la tradition et s’éloigna en disant :

Là n’est point la voie qui conduit à l’indifférence pour les objets du monde, qui conduit à l’affranchissement de la passion, qui conduit à la fin des vicissitudes de l’être, qui conduit à l’état de [...], qui conduit au Nirvana.

Vous avez fait comme le grand rénovateur indou. Vous avez rompu avec bien des traditions anciennes, avec bien des gloires consacrées, et voici comment, dans la préface de la première édition de vos Poèmes antiques, vous avez posé les nouveaux dogmes :

Depuis Homère, Eschyle et Sophocle, qui représentent la poésie dans sa vitalité, dans sa plénitude et dans son unité harmonique, la décadence et la barbarie ont envahi l’esprit humain. En fait d’art original le monde romain est au niveau des Daces et des Sarmates ; le cycle chrétien tout entier est barbare. Dante, Shakespeare et Milton n’ont que la force et la hauteur de leur génie individuel ; leur langue et leurs conceptions sont barbares. La Sculpture s’est arrêtée à Phidias et à Lysippe ; Michel-Ange n’a rien fécondé ; son œuvre, admirable en elle-même, a ouvert une voie désastreuse. Que