Page:Leconte de Lisle - Discours, 1887.djvu/68

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une seconde. Il écarte tout ce qui pourrait retarder sa marche, même ce qui est le plus naturel, le plus séduisant, ce qui passe pour être le premier idéal de tous les hommes et la première inspiration de tous les poètes : l’amour.

Dans les deux volumes des Odes et ballades, on ne le surprend pas une seule fois ni avec la Camille de Chénier, ni avec la Mimi Pinson de Musset, ni avec la Lisette de Béranger, ni même avec l’Elvire, peut-être imaginaire, de Lamartine. Il a le respect de son cœur et la domination de ses sens. Il se réserve pour l’épithalame, car celle qu’il épouse, celle pour laquelle il dira plus tard : « Manibus date lilia plenis » est non seulement la première qu’il aime, mais la seule qu’il ait regardée. Plus tard, quand il chantera l’amour comme il chantera tout ce qui est de la nature, on ne pourra pas citer, dans toute son œuvre lyrique et dramatique, un vers, un seul qui soit une véritable extase ou un véritable cri. Il ne se livre jamais.

Le féminin qui remplira la vie de Musset et qui l’inspirera si magnifiquement, laisse Victor Hugo indifférent, du moins du côté de l’âme. Nombre de pièces où l’absence de date peut passer pour une confidence au lecteur, ne sonnent dans leur forme éclatante, que comme des pièces d’or jetées par une main qui ne compte pas dans l’aumônière d’une belle quêteuse. Le cœur n’y est pour rien.

Ce Jupiter a fait quelquefois aux amours terrestres la concession de se changer en cygne ou en taureau, pour se rendre visible et compréhensible à des