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POÈMES BARBARES.


Et de noirs cavaliers aux blanches draperies
Escortent, au travers de la foule, à pas lents,
Sous le cône du dais brodé de pierreries,
Le palankin doré des Radjahs indolents.

Bercé des mille bruits que la nuit proche apaise,
De son peuple innombrable et du monde oublieux,
Djihan-Guîr reste morne, et sa gloire lui pèse ;
Une larme furtive erre au bord de ses yeux.

Des djungles du Pendj-Ab aux sables du Karnate,
Il a pris dans son ombre un empire soumis
Et gravé le Coran sur le marbre et l’agate ;
Mais son âme est en proie aux songes ennemis.

Il n’aime plus l’éclair de la lance et du sabre,
Ni, d’une ardente écume inondant l’or du frein,
Sa cavale à l’œil bleu qui hennit et se cabre
Au cliquetis vibrant des cymbales d’airain ;

Il n’aime plus le rire harmonieux des femmes ;
La perle de Lanka charge son front lassé ;
Que le soleil éteigne ou rallume ses flammes,
Le Roi du monde est triste, un désir l’a blessé.

Une vision luit dans son cœur, et le brûle ;
Mais du mal qu’il endure il ne craint que l’oubli :
Tous les biens qu’à ses pieds le destin accumule
Ne valent plus pour lui ce songe inaccompli.