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POÈMES BARBARES.

La femme séduisit les Anges du Seigneur.
— J’y consens, dit l’Oiseau, ce n’est point mon affaire,
Et celui qui le fit n’avait qu’à le mieux faire.
Toujours est-il qu’il s’en était débarrassé.
Le monde ancien, Seigneur, étant donc trépassé,
L’arche immense flottait depuis quarante aurores,
Et l’océan sans fin, heurtant ses flancs sonores,
Dans la brume des cieux y berçait lourdement
Tout ce qui survivait à l’engloutissement.
Et j’étais là, parmi les espèces sans nombre,
Et j’attendais mon heure, immobile dans l’ombre.
Un jour, ayant tari leur vaste réservoir,
Les torrents épuisés cessèrent de pleuvoir ;
Le soleil resplendit à l’orient de l’arche ;
L’abîme décrut : — Va ! me dit le Patriarche,
Et, si quelque montagne émerge au loin des mers,
Apprends-nous qu’Iahvèh pardonne à l’univers. —
Je pris mon vol, joyeux de fuir à tire-d’ailes,
Et j’allais effleurant les eaux universelles ;
Et depuis, je ne sais, n’étant point revenu,
Ce que le noir vaisseau de l’homme est devenu.
— Ce fut là, dit le Moine, une action mauvaise.
— Seigneur, dit le Corbeau, c’est que, ne vous déplaise,
Aimant à voyager dans ma jeune saison,
Je respirais bien mieux au grand air qu’en prison.

Je vis bientôt, Rabbi, poindre des cimes vertes
Qui fumaient au soleil, d’algue épaisse couvertes ;