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LES ASCÈTES.

Je vous salue, amants désespérés du ciel !
Vous disiez vrai : le cœur de l’homme est mort et vide,
Et la terre maudite est comme un champ aride
Où la ronce inféconde, et qu’on arrache en vain,
Dans le sillon qui brûle étouffe le bon grain.
Vous disiez vrai : la vie est un mal éphémère,
Et la femme bien plus que la tombe est amère !
Aussi, loin des cités aux bruits tumultueux,
Avec le crucifix et le bâton noueux,
Et du nimbe promis illuminant vos têtes,
Vous fuyiez vers la mort, pâles anachorètes !
Pour que nul œil humain ne vous revît jamais,
Vous montiez çà et là sur d’inféconds sommets,
Et, confiant votre âme aux souffles des orages,
Laissiez dormir vos os dans les antres sauvages ;
Ou parfois, en songeant, sur le sable embrasé,
Que tout lien charnel ne s’était pas brisé,
Que le siècle quitté recevait vos hommages,
Qu’un tourbillon lointain de vivantes images
D’un monde trop aimé repeuplait votre cœur,
Que le ciel reculait, que l’homme était vainqueur ;
Troublant de vos sanglots l’implacable étendue,
Vous déchiriez vos flancs d’une main éperdue,
Vous rougissiez le sol du sang des repentirs ;
Et le désert, blanchi d’ossements de martyrs,
Écoutant ses lions remuer vos reliques,
S’emplissait dans la nuit de visions bibliques.