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LES PARABOLES DE DOM GUY.

Plus sombre que la nuit et plus haut qu’un beffroi,
Un Esprit, un Démon formidable apparaître
En face du petit Jésus venant de naître ;
Et ses yeux reluisaient fixement dans son chef.
Les Bergers, ni les Rois, ni le bon saint Joseph,
Ni madame Marie en son amour bercée,
Ne voyaient cette forme au milieu d’eux dressée.

Cet Esprit était beau comme un grand mont chenu ;
Une foudre grondait autour de son front nu ;
Il était impassible et dur, et sur sa bouche
Siégeaient l’amer mépris et le vouloir farouche.
Il secoua sa tête où crépita le feu,
Et parla comme suit, sans vergogne, à son Dieu :

— Les siècles ont tenu les vieilles prophéties.
Donc, te voici vivant entre tous les Messies,
Toi qui mettras Juda sur Ninive et Sidon !
C’est pitié de te voir en si piètre abandon :
Ton trône est de fumier, ton palais est de chaume,
Et le roi, certe, est trop chétif pour le royaume !
Écoute ! J’ai nom Force, et j’ai nom Volonté ;
Ma main tient le licou de l’univers dompté ;
Je suis très grand, très fier, et plein d’intelligence,
Et tout est devant moi comme une vile engeance.
Or, je te plains, étant plus grêle qu’un roseau,
Sans défense et tout nu comme un petit oiseau ;
Et je pourrais, du pied t’écrasant, forme vaine,