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POÈMES BARBARES.


Bienheureux celui-là parmi tous les vivants !
L’incorruptible sang coulera dans ses veines ;
Il se réveillera sur les cimes sereines
Où sont les Dieux, plus haut que la neige et les vents.

Et je l’inonderai de voluptés sans nombre,
Vives comme un éclair qui durerait toujours !
Dans un baiser sans fin je bercerai ses jours
Et mes yeux de ses nuits feront resplendir l’ombre. —

Elle chantait ainsi, sûre de sa beauté,
L’implacable Déesse aux splendides prunelles,
Tandis que du grand sein les formes immortelles
Cachaient le seuil étroit du gouffre ensanglanté.

Comme le tourbillon nocturne des phalènes
Qu’attire la couleur éclatante du feu,
Ils lui criaient : Je t’aime, et je veux être un Dieu !
Et tous l’enveloppaient de leurs chaudes haleines.

Mais ceux qu’elle enchaînait de ses bras amoureux,
Nul n’en dira jamais la foule disparue.
Le monstre aux yeux charmants dévorait leur chair crue,
Et le temps polissait leurs os dans l’antre creux.