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POÈMES BARBARES.

Les purificateurs du chaos ténébreux,
Beaux et pleins de vigueur, intelligents et justes.
Ymer, dompté, mourut entre leurs mains augustes ;
Et de son crâne immense ils formèrent les cieux,
Les astres, des éclairs échappés de ses yeux,
Les rochers, de ses os. Ses épaules charnues
Furent la terre stable, et la houle des nues
Sortit en tourbillons de son cerveau pesant.
Et, comme l’univers roulait des flots de sang,
Faisant jaillir, du fond de ses cavités noires,
Une écume de pourpre au front des promontoires,
Le déluge envahit l’étendue, et la mer
Assiégea le troupeau hurlant des fils d’Ymer.
Ils fuyaient, secouant leurs chevelures rudes,
Escaladant les pics des hautes solitudes,
Monstrueux, éperdus ; mais le sang paternel
Croissait, gonflait ses flots fumants jusques au ciel ;
Et voici qu’arrachés des suprêmes rivages,
Ils s’engloutirent tous avec des cris sauvages.
Puis ce rouge Océan s’enveloppa d’azur ;
La Terre d’un seul bond reverdit dans l’air pur ;
Le couple humain sortit de l’écorce du frêne,
Et le soleil dora l’immensité sereine.
Hélas ! mes sœurs, ce fut un rêve éblouissant.
Voyez ! la neige tombe et va s’épaississant ;
Et peut-être Yggdrasill, le frêne aux trois racines,
Ne fait-il plus tourner les neuf sphères divines !
Je suis la vieille Urda, l’éternel Souvenir ;
Mais le présent m’échappe autant que l’avenir.