Page:Leconte de Lisle - Revue dramatique, paru dans La Démocratie pacifique, 20-21 juillet 1846.djvu/11

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Vigny, Alex. Dumas, et quelques autres poètes et littérateurs distingués, ont protesté contre la décision du comité. Une telle protestation est chose sérieuse. Les œuvres misérables que reçoit, par acclamation, le Théâtre-Français, sont autant de preuves accablantes d’une ineptie à laquelle il est plus que temps de soustraire la haute littérature. L’heure est venue pour la critique de stigmatiser sévèrement et unanimement cette scène abâtardie. Quant à M. Adolphe Dumas, lequel est certainement un homme intelligent et un poète consciencieux, quoique son talent réel ait souvent avorté, nous croyons devoir le féliciter du rejet de sa pièce. L’ignorance ou la mauvaise foi de tels juges fait bien augurer de l’œuvre qu’ils ont condamnée.

M. Bouchet, l’un des meilleurs artistes de la précédente troupe de l’Odéon, a débuté samedi dernier au Théâtre-Français. Il a repris le rôle qu’il avait créé avec un véritable talent dans la spirituelle comédie de M. Augier, la Ciguë. Il avait, de plus, audacieusement choisi le rôle de don Juan, du Festin de Pierre. Audaces fortuna juvat. M. Bouchet est sorti avec honneur de cette difficile épreuve, et les applaudissements mérités ne lui ont pas manqué. M. Bouchet a une diction nette, le geste naturel, les inflexions justes. Il y a chez lui beaucoup d’étude. On lui désirerait seulement un peu moins de sagesse, parfois, ou un peu plus de chaleur et d’élan, dût-il franchir un peu les bornes du goût pur et sévère dont nous admettons volontiers que la première scène française doit se faire la gardienne fidèle.

L’adjonction de M. Bouchet ne pourra qu’être utile aux comédiens ordinaires, et agréable au public.

L. de L.