Page:Lectures romanesques, No 141, 1907.djvu/12

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Soudain, elle vit son fils pâlir. Charles porta sa main crispée à son cœur et s’arrêta, haletant. Son regard se troubla. Ses pupilles se dilatèrent.

Deux secondes, il parut en proie à quelque mystérieuse vision ou à un vertige.

Puis ses traits se calmèrent. Son regard s’apaisa. Il respira plus librement.

— Vous le voyez, ma mère, dit-il avec un triste sourire, voici une crise avortée. La joie que vous m’avez donnée me rend déjà plus fort… Ah ! s’il n’y avait plus autour de mon trône ni haines sourdes ni intrigues… si nous avions enfin la paix !…

— Vous l’aurez, Charles ! dit Catherine qui se leva. Reposez-vous en votre mère qui veille sur vous… J’ai donc votre approbation pour ouvrir des conférences en vue de ce mariage ?

— Oui, madame, allez… Et moi, je m’en vais de ce pas voir Margot et lui faire entendre raison.

La reine mère eut un sourire aigu. Elle se retira après avoir jeté un profond regard sur son fils qui, tout joyeux et tout fredonnant, se rendit en effet chez sa sœur Marguerite.

C’est ainsi que fut décidé un acte politique qui, préparé pour assurer la paix du royaume, devait aboutir à l’une des plus atroces et des plus sanglantes tragédies qui aient épouvanté l’histoire.

Mais nous n’en avons pas fini avec ce chapitre où nous avons voulu de montrer sous un triple aspect la sombre et tortueuse politique de Catherine de Médicis. Cette troisième partie de cet épisode complétera les deux autres, et éclairera d’un jour livide la pensée qui avait guidé la reine dans son entretien avec Ruggieri, d’abord, avec Charles IX, ensuite.

Elle regagna ses appartements, lente et méditative, et entra dans son oratoire.

Cette pièce était l’antithèse de celle où nous avons d’abord introduit nos lecteurs : ici, plus de tableaux, plus de statues, plus de rideaux brochés, plus de coussins… Des murs couverts d’une sombre tapisserie, une table d’ébène, un fauteuil d’ébène aussi, un prie-Dieu, et au-dessus de ce prie-Dieu un christ d’argent massif sur sa croix noire…

— Paola, dit Catherine à une suivante italienne qui se tenait toujours à sa portée, amène-moi Alice.

Quelques instants plus tard, Alice de Lux pénétrait dans l’oratoire et exécutait une profonde révérence autant pour obéir aux règles d’étiquette que pour cacher en partie son trouble.

— Vous voilà donc de retour, mon enfant, dit Catherine avec une grande douceur. Vous êtes sans doute arrivée hier ?

Alice de Lux fit un effort et répondit :

— Non, madame, je suis arrivée il y a onze jours…

— Onze jours, Alice ! s’écria la reine, mais sans sévérité. Onze jours, et vous voilà aujourd’hui seulement !

— J’étais bien fatiguée, madame, balbutia la fille d’honneur.

— Oui, oui… je comprends, vous aviez besoin de vous reposer… et peut-être aussi de réfléchir un peu… de convenir avec vous-même… Mais laissons cela… je suis contente de vous, mon enfant… Vous avez admirablement compris votre mission, et je ne connais pas meilleure diplomate que vous… Alice, vous avez noblement servi mes intérêts qui sont ceux du roi et de la royauté, vous en serez récompensée.

— Votre Majesté me comble, murmura la malheureuse.

— Non, non, je ne dis que l’exacte vérité… grâce à vous, ma chère ambassadrice, j’ai pu connaître à temps et déjouer les projets de notre ennemie la plus déterminée… la reine Jeanne. Ah ! à ce propos, soyez complimentée pour le choix de vos courriers… tous des hommes sûrs et diligents… et pour la rédaction de vos lettres… toutes des chef-d’œuvres de clarté… Oui, mon enfant, vous nous avez rendu de grands services… Et ce n’est pas votre faute, après tout, si ces services n’ont pas été plus loin…

— Je ne sais ce que veut dire Votre Majesté…

— Alice, comment la reine de Navarre est-elle sortie de Paris ?… Car elle y est venue, je le sais… Racontez-moi donc un peu tout cela… est-ce que vous faisiez partie du voyage ? Ne m’a-t-on pas dit qu’il y avait eu quelque chose comme une révolte sur le pont de bois ?… J’aurais été fâchée qu’il fût arrivé malheur à ma cousine de Navarre… Voyons, que s’est-il passé ?

Alice commença aussitôt le récit sommaire de l’échauffourée que nous avons racontée.

Ce récit, elle le fit en termes brefs et clairs, d’une voix monotone.

— Jésus ! fit alors Catherine en joignant les mains. Est-il possible que vous ayez couru pareil danger !… Quand je songe qu’un peu plus la reine de Navarre était tuée, je ne puis m’empêcher de frissonner… car, après tout, je ne veux pas sa mort, à cette pauvre reine… il suffit que je la réduise à l’impuissance…