Page:Lectures romanesques, No 142, 1907.djvu/18

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je crois que vous m’avez porté bonheur. Je venais à Paris avec la conviction que j’étais séparé d’elle pour longtemps, pour toujours peut-être. Or, d’après les ordres que j’avais reçus, je dus me rendre à Saint-Germain où la reine Jeanne me donna diverses missions et entre autres celles de vous apporter ses remerciements… Eh bien, c’est en venant vous voir que, près de Paris, dans un petit hameau, j’ai rencontré celle que j’aimais… C’est toute une histoire que je vous dirai plus au long… sachez seulement que je puis la voir deux fois par semaine, en attendant…

— En attendant…

— Que je puis la ramener en Béarn et l’épouser. Ma fiancée est seule au monde… je suis son frère jusqu’au jour où je serai son époux.

— Je comprends maintenant votre bonheur, fit Pardaillan avec un nouveau soupir.

— Voilà l’égoïsme de l’amour ! s’écria le comte. Je vous assomme avec mes histoires que vous avez la politesse d’écouter patiemment, et je ne songe même pas à vous demander…

— En un mot, voici la chose, dit Pardaillan ; je suis amoureux, comme vous.

— Quelle chance ! Nous célébrerons nos unions le même jour.

— Attendez… J’aime, comme vous, mon cher, de la façon que vous avez dépeinte… Moi aussi, je sens que je deviendrai fou si je suis séparé d’elle pour toujours… Et moi aussi, je crois que je mourrais d’une trahison. Seulement, vous pouvez voir votre fiancée deux fois par semaine, et moi je ne lui ai jamais parlé. Vous êtes sûr d’être aimé, et moi je redoute d’être haï ; vous savez où trouver ce que vous aimez, et celle que j’aime a disparu. Or, je veux la retrouver à tout prix, fût-ce pour m’entendre dire que je suis détesté. Et c’est pour cela que je suis venu vous demander votre aide.

— Comptez sur moi ! dit chaleureusement le comte. Nous fouillerons Paris ensemble. Mais ne pourriez-vous, dès maintenant, préciser les circonstances de la disparition ?

Pardaillan raconta brièvement l’histoire de son amour, son arrestation au moment où Loïse l’appelait, son séjour à la Bastille, son départ, la lettre qu’il était chargé de remettre, enfin, tout ce que savent déjà nos lecteurs.

Il ne tut dans tout cela que le nom de Montmorency, se réservant de le dire au bon moment. Et ce moment serait celui où l’on commencerait les recherches.

— J’ai comme un vague soupçon, ajouta-t-il en terminant, du lieu où elle peut être et de l’homme qui a pu avoir un intérêt à enlever Loïse et sa mère. Et, si vous le voulez, nous commencerons nos recherches dans les environs du Temple.

— Très bien, cher ami ; quand voulez-vous que nous commencions ?

— Mais dès demain.

— Dès demain, bon ; je suis tout à vous. Maintenant, venez que je vous présente à certaines personnes qui ont envie de vous voir.

— Quelles sont ces personnes ?

— Le roi de Navarre, le prince de Condé, l’amiral… Venez, venez, pas de façons, mon cher, vous êtes connu ici, et votre histoire d’évasion de la Bastille va achever de vous valoir l’admiration de ces grands seigneurs…

Bon gré mal gré, Pardaillan fut entraîné par le comte de Marillac.

Celui-ci traversa rapidement deux ou trois pièces et parvint dans le grand salon d’honneur de l’hôtel Coligny.

Là, autour d’une table, étaient assis cinq personnages.

Pardaillan reconnut immédiatement deux d’entre eux :

Téligny, qu’il venait de voir, et l’amiral Coligny qu’il avait eu occasion de voir de loin deux ou trois fois.

Les trois autres lui étaient inconnus.

Le comte de Marillac, tenant toujours Pardaillan par la main, s’avança jusqu’à la table et dit :

— Sire, et vous, monseigneur, et vous, monsieur l’amiral, et vous, mon cher colonel, voici le sauveur de la reine, M. le chevalier Jean de Pardaillan.

À ces mots, ces personnages qui n’avaient pas vu sans inquiétude entrer un inconnu, bien que cet inconnu fût amené par un des leurs, ces personnages, disons-nous, levèrent sur le chevalier des yeux pleins de bienveillance, de cordialité et d’admiration.

— Touchez-là, jeune homme ! s’écria, le premier, Coligny. Vous avez été fort comme Samson, courageux comme David, et vous avez évité à la Réforme un irréparable malheur.

Le chevalier saisit la main qui lui était tendue avec un respect et une émotion visibles.

— Et moi aussi, je veux toucher cette main qui a sauvé ma mère, dit alors avec un fort accent gascon des plus désagréables un jeune homme de dix-sept à dix-huit ans, qui n’était autre que le roi de Navarre, futur roi de France sous le nom d’Henri IV.

Pardaillan plia le genou, selon les usages