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Page:Lectures romanesques, No 122, 1907.djvu/12

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Une flamme s’alluma dans l’œil du vieux Montmorency qui, froidement, continua :

— Maintenant, madame, voici un deuxième parchemin. C’est un acte de renonciation volontaire à votre mariage…

— Non ! non ! oh ! non ! pas cela ! haleta Jeanne dans un cri déchirant. Tuez-moi ! mais pas cela !…

— Je sais combien un divorce est chose grave, et qu’il est difficile de faire casser un mariage. Mais, le roi aidant…

— Grâce ! Pitié ! Justice, monseigneur ! cria Jeanne en tombant à genoux.

— La bonne volonté de notre Saint-Père nous est acquise… vous n’avez qu’à signer…

— Pitié ! oh ! laissez-moi mon François ! laissez-moi l’aimer !

— Signez, madame, et le Saint-Père cassera le mariage…

— Ma fille, monseigneur ! La fille de François ! Vous lui volez son père !… Vous lui arrachez son nom !…

— C’en est assez, madame. Tout à l’heure, je présenterai l’un ou l’autre de ces deux parchemins au roi. François sera demain au Temple si, dès ce soir, je ne puis expédier à Rome votre renonciation. Signez et vous le sauvez…

— Grâce ! Grâce ! sanglota l’épouse martyre. Non ! non ! jamais !…

— Le roi ! Le roi ! Vive le roi !…

Des cris éclataient dans la cour d’honneur. Une fanfare de trompettes retentit. On entendit les pas précipités des gentilshommes qui couraient au-devant d’Henri II. La porte s’ouvrit violemment et un homme cria :

— Monseigneur ! Monseigneur ! voici Sa Majesté !…

— Adieu, madame, dit lentement Montmorency. Déchirez cette renonciation. Moi, je vais faire signer au roi l’ordre d’emprisonner mon fils !…

— Arrêtez ! je signe ! râla la martyre.

Et elle signa !… Puis elle tomba à la renverse, tandis qu’un de ses bras, dans un geste instinctif et sublime, cherchait encore à protéger Loïse…

Le connétable fondit sur le parchemin, le saisit, le cacha dans son pourpoint, et de son pas lourd d’écraseur de cœur, de tueur d’hommes et de femmes, se porta à la rencontre d’Henri II.

Dans la cour, les cris de joie éclataient furieusement :

— Vive le roi ! Vive le roi ! Vive le connétable !…





◄   VIII X   ►

Le mariage secret de François de Montmorency et de Jeanne de Piennes fut cassé par le pape. Les mémoires du temps font grand bruit de cet événement et disent que la chose n’alla pas sans de grandes difficultés que surmonta l’opiniâtre volonté d’Henri II.

En l’année 1558, François de Montmorency, maréchal des armées royales, épousa Diane de France, fille naturelle du roi. Quinze jours avant l’époque fixée pour la cérémonie, il alla trouver la princesse.

— Madame, lui dit-il, je ne sais quels sont vos sentiments à mon égard. Pardonnez-moi la franchise brutale de mon langage : je ne vous aime pas, et ne vous aimerai jamais…

La princesse écoutait en souriant.

— On nous marie, continua François. En acceptant l’insigne honneur de devenir votre époux, j’obéis au roi et au connétable, qui veulent cette union pour des raisons politiques ; mais le jour où Mgr l’archevêque bénira notre union, mon cœur sera absent de la cérémonie. Je vous offense, je le sais…

— Non pas, monsieur le maréchal, fit vivement Diane. Continuez donc, je vous prie, en toute loyauté…

— Si mon cœur était libre, dit alors François, il serait à vous ; car vous êtes belle parmi les plus belles. Mais…

— Mais votre cœur est à une autre ?…

— Non, madame ! Et je me suis mal exprimé : mon cœur est mort, voilà tout !… Et si moi-même je vis encore, ce n’est pas faute d’avoir ardemment cherché la mort sur les champs de bataille…

Ses yeux s’obscurcirent. Et avec un sourire navrant, il ajouta :

— Il paraît qu’elle ne veut pas de moi… Voici donc, madame et princesse, la vérité tout entière, si cruelle qu’elle soit à dire pour moi : notre mariage ne peut-être que l’union de deux noms. Si l’amitié la plus fidèle et la plus ardente, si une affection fraternelle de tous les instants, si un dévouement aveugle peuvent balancer l’absence d’amour, je vous offre humblement cette amitié et ce dévouement… Maintenant, madame, que je vous ai parlé avec toute la sincérité d’une loyauté que nul jusqu’ici n’a pu suspecter, j’attends votre décision…