Page:Lectures romanesques, No 126, 1907.djvu/7

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À cet instant, Catherine de Médicis et Ruggieri, du haut de leur fenêtre, le duc de Guise, du haut de son cheval, virent un spectacle inouï, fantastique et merveilleux… Un jeune homme venait de s’élancer, balayant la foule à coups de poing, à coups de tête, à coups de coude, entrant, pénétrant comme un coin de fer, et semblant faire le vide autour de lui, par une sorte de formidable roulis de ses épaules… En un clin d’œil, il se forma un espace entre la porte de la maison ruinée à laquelle s’appuyaient les deux femmes, et la multitude furieuse à la tête de laquelle se trouvaient l’orfèvre, le boucher et le libraire.

Alors, le jeune homme tira sa longue et solide rapière qui flamboya, et se mit à décrire un moulinet vertigineux, qu’il n’interrompit que pour lancer de seconde en seconde des coups de pointe furieux, tandis que la cohue stupéfaite, épouvantée, reculait, élargissant le demi-cercle !…

— René ! gronda Catherine, il faut que ce jeune homme meure ou qu’il soit à moi !

— J’y pensais ! répondit Ruggieri en s’élançant.

— Saint-Mégrin ! disait de son côté le duc de Guise, tâche donc de savoir qui est cet enragé. Cornes du diable, le magnifique sanglier ! Quels coups de boutoir ! D’estoc, de pointe, de taille, comme il frappe !…

Cet enragé, comme disait Guise, ce sanglier qui tenait tête à la meute humaine, c’était le chevalier de Pardaillan.

Au moment où Crucé et sa bande se jetaient sur la litière, il avait vu que cette litière contenait deux femmes.

Il voulut s’élancer, et se sentit retenu par le bras. Celui qui l’agrippait au passage, c’était le bourgeois qui, tout à l’heure, lui avait donné de si complaisants renseignements.

— Laissez faire ! cria cet homme avec une sorte d’emphase doctorale. Laissez faire le peuple ! Rappelez-vous ! Vox populi, vox Dei !…

— Eh ! monsieur, répondit Pardaillan, sans la moindre impatience, je vous ai déjà signifié que je n’entends pas l’anglais !

En parlant ainsi il se secoua. Et en se secouant, il envoya rouler le malencontreux latiniste sur les premiers rangs des assaillants ; puis il se précipita, tête baissée, comme un bélier humain.

— Par Bacchus ! s’écria l’homme en soutenant d’une main sa mâchoire endommagée ; c’est là Hercule en personne, ou je ne suis plus Jean Dorat, Johannus Auratus, le plus grand poète de la Pléiade, le Virgile de nos temps !…



Note




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