Page:Lectures romanesques, No 126, 1907.djvu/9

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

cet atelier, et ce toit était soutenu par trois poutres verticales qui semblaient aller chercher leur base à travers le plancher, dans les caves.

En moins de temps qu’il ne le faut pour l’écrire, Pardaillan avait parcouru la pièce.

En arrivant au fond, c’est-à-dire au côté qui donnait sur le fleuve, il aperçut une trappe ouverte qui permettait de descendre aux caves.

D’un cri, il appela les deux femmes qui accoururent.

— Descendez ! fit-il.

— Et vous ? demanda la reine.

— Descendez toujours, madame. De grâce, pas de questions en ce moment !

Jeanne d’Albret et sa compagne obéirent. Au bas de l’escalier, elles trouvèrent qu’elles étaient non pas dans une cave, mais dans une pièce pareille à celle du dessus ; sous le plancher, elles entendaient des clapotements… la maison était construite sur pilotis ! Et c’était la Seine qui coulait au-dessous d’elles !… Et sur leurs têtes, là-haut, c’était une tempête effroyable de clameurs humaines où les cris de mort dominaient, comme les coups de tonnerre dominent le tumulte des orages !… Mort au-dessus ! mort au-dessous !…

À ce moment, une minute à peu près s’était écoulée depuis l’instant où elles étaient entrées dans la maison.

Jeanne d’Albret prêta l’oreille une seconde.

Dans une sorte d’accalmie des rafales populaires, elle crut entendre là-haut comme un grincement de scie… mais cela dura l’espace d’un éclair, et de nouveau, l’énorme mugissement de la foule couvrit tous les bruits.

Alors, fiévreusement, elle se mit à chercher… quoi ! elle ne savait ! Dans ces horribles instants où la mort est proche et semble inévitable, l’esprit prend dans les vigoureuses natures une étrange lucidité !… Jeanne d’Albret eut l’intuition qu’on devait pouvoir communiquer avec le fleuve… Son pied, tout à coup, heurta un anneau de fer… elle se baissa avec un cri de joie puissante, le souleva d’un effort inouï, arracha la trappe de son alvéole… et là, sous ses yeux, avec le rauque soupir du condamné qui a la vie sauve, oui, là, elle aperçut une échelle qui descendait au fleuve parmi les pilotis !… Et au bas de cette échelle, une barque !

— Monsieur, monsieur, rugit-elle.

— Me voici ! tonna Pardaillan. Si nous mourons, ce sera en nombreuse compagnie !…

Et le chevalier apparut au haut de l’escalier, tenant une grosse corde à la main. Sur cette corde, il se raidit, s’arc-bouta, d’un effort tel que les muscles de ses jambes saillirent, et que les veines de ses tempes parurent prêtes à éclater…

À ce moment, la hideuse multitude affamée de mort, dans un effrayant fracas, se précipitait, se ruait…

— À mort ! à mort ! à mort !…

On n’entendit plus que la sinistre clameur !…

À ce moment, aussi, Pardaillan, d’une dernière secousse frénétique, semblable à un titan qui cherche à déraciner un chêne séculaire, tira sur la corde !…

Un craquement formidable se fit entendre, la maison parut osciller un instant, puis, parmi d’atroces clameurs de désespoir, un grondement puissant, quelque chose comme un roulement de tonnerre… la maison s’effondrait ! Les poutres se déchiraient ! la toiture tout entière tombait d’un bloc : tuiles, ferrures, pièces de bois, tout s’abîmait dans un fracas sinistre, écrasant, blessant, tuant par centaines les meurtriers !…

Puis un silence énorme pesa sur cette scène inouïe.

Que s’était-il passé ?

Pardaillan avait scié les trois poutres qui portaient la toiture !…

Pardaillan les avait liées avec la même corde !

Pardaillan, en secouant frénétiquement cette corde, avait fait tomber les poutres !

Et alors, d’un bond, d’un saut, il se lança dans le vide, tomba au pied de l’escalier, et se rua vers Jeanne d’Albret, tandis que sur le plancher qu’il venait de quitter s’effondrait la toiture de la vieille maison !…

La reine, d’un geste, lui montra le fleuve, l’échelle, la barque !…

En un instant, ils y furent tous les trois… Le chevalier coupa la corde qui retenait la légère embarcation, et celle-ci, entraînée par le courant, se mit à filer dans la direction du Louvre.

*******

Pardaillan dirigea la barque au moyen d’une godille qu’il trouva au fond. Cinq minutes plus tard, il abordait au-dessous du Louvre, à l’endroit où se trouvait quelques années auparavant l’enclos des Tuileries, et où Catherine de Médicis