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Page:Lectures romanesques, No 130, 1907.djvu/11

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de mes ennemis. J’essaie d’abord de le désarmer par mes prières, par mes promesses, par mes larmes, et je dois dire que je réussis souvent… car les hommes sont moins méchants qu’on ne dit…

— Et quand Votre Majesté ne réussit pas ? fit Pardaillan avec une émotion dont il ne fut pas le maître.

— Alors, j’en appelle au jugement de Dieu.

— Que Votre Majesté me pardonne… je ne saisis pas tout à fait…

— Eh bien ! Un de mes gentilshommes se dévoue ; il va trouver l’ennemi, le provoque en un loyal combat, le tue ou est tué… S’il est tué, il est sûr d’être pleuré et vengé. S’il tue, il a sauvé sa reine et son roi, qui, ni l’un ni l’autre, ne sont des ingrats… Que dites-vous du moyen, monsieur ?

— Je dis que je ne demande qu’à tirer l’épée en champ clos, madame ! Se battre pour sa dame ou pour sa reine, c’est une chose tout naturelle.

— Ainsi… si je vous désigne un de ces êtres méchants…

— J’irai le provoquer ! fit Pardaillan, qui redressa sa taille et dont les moustaches se hérissèrent. Je le provoquerais, s’appelât-il…

Il s’arrêta à temps, au moment où il allait s’écrier :

— S’appelât-il Guise ou Montmorency !…

Un duel avec le duc de Guise !

À cette pensée, les yeux de Pardaillan flamboyèrent. Il se sentit grandir. Il n’était plus le chevalier de la reine. Il devenait le sauveur de la royauté.

— S’appelât-il ?… interrogea Catherine dont les soupçons se déchaînèrent à l’instant. Vous vous êtes arrêté au moment où vous alliez prononcer un nom.

— Au moment où je cherchais un nom, Majesté ! fit Pardaillan en reprenant tout son sang-froid. Je voulais dire que je n’hésiterai pas, si terrible que soit l’adversaire, ou si haut placé — ce qui est tout un !

— Ah ! vous êtes bien tel que je vous espérais ! s’écria la reine. Chevalier, je me charge de votre fortune, entendez-vous ? Mais n’allez pas, par trop de générosité, compromettre votre vie… À dater de ce jour, vous m’appartenez et vous n’avez plus le droit d’être imprudent.

— Je ne comprends pas, madame.

— Écoutez, dit Catherine lentement, en sondant pour ainsi dire, parole à parole, l’esprit du chevalier ; écoutez-moi bien… Un duel est une bonne chose… mais il y a mille façons de se battre… Oh ! certes, ajouta-t-elle en plongeant son regard dans les yeux de Pardaillan, je ne vous conseillerais pas… d’attendre l’ennemi… une nuit… au détour de quelque rue… et de le frapper à mort… d’un bon coup de poignard… non, non, conclut-elle vivement, je ne vous conseillerais pas cela !

— En effet, madame, dit Pardaillan, ce serait un assassinat. Moi, je me bats au jour ou à la nuit, mais en face, épée contre épée, poitrine contre poitrine. C’est ma manière, Majesté. Pardonnez-moi si ce n’est pas la bonne.

— C’est bien ainsi que je l’entends ! se hâta de dire Catherine. Mais enfin, la prudence peut s’allier au courage, et ne pouvant vous demander d’être brave, puisque vous êtes la bravoure même, je vous recommande d’être prudent… voilà tout.

— Il ne me reste plus qu’à savoir contre quel ennemi je dois me mesurer, reprit alors Pardaillan.

— Je vais vous le dire, fit la reine.

Ruggieri, d’un geste, essaya une suprême tentative. Ses mains se joignirent vers Catherine tandis que ses yeux éloquents criaient grâce.

La reine lui jeta un regard foudroyant.

Ruggieri recula en baissant la tête.

« Tenons-nous bien, songea Pardaillan. Évidemment, il s’agit du duc de Guise. Arrêter Guise, impossible ! Et pourtant, Guise conspire. Elle le sait comme moi, sans doute. Un duel avec Henri de Guise ! Quel honneur pour Giboulée !… »

— Monsieur, dit tout à coup la reine, vous avez reçu hier une visite…

— J’en ai reçu plusieurs, madame…

— Je veux parler de ce jeune homme qui vous est venu de la part de la reine de Navarre. Celui-là, monsieur, est un de ces implacables ennemis dont je vous parlais, peut-être le plus acharné, le plus terrible de tous, parce qu’il agit dans l’ombre, et ne frappe qu’à coup sûr… Celui-là me fait peur, monsieur… non pour moi, hélas ! j’ai fait le sacrifice de ma vie… mais pour mon pauvre enfant… pour Charles… votre roi !

Pardaillan s’était pour ainsi dire ramassé sur lui-même.

Son rêve d’un héroïque combat contre un puissant seigneur brave entre tous, d’un duel où il était le champion d’une reine et d’une mère, ce rêve tombait, et il entrevoyait de sinistres réalités.

Son sourcil se fronça. Sa moustache se hérissa. Puis, soudain, ses traits se détendirent et son visage reprit cette immobilité, ce vague sourire, avec, au coin des lèvres, une dédaigneuse ironie.