Page:Lectures romanesques, No 138, 1907.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Pardaillan s’arrêta court, rengaina Giboulée, composa instantanément son visage, et répondit :

— Je m’exerçais, ma chère madame Huguette ; mon bras s’est engourdi pendant ces dix jours, et… mais laissons cela… savez-vous que vous êtes charmante de venir me voir ainsi ?… Allons, ne vous en défendez pas… vous êtes la perle de la rue Saint-Denis…

— Oh ! monsieur le chevalier…

— Si fait, morbleu ! Et le premier qui soutiendra que vous n’êtes pas la plus jolie hôtesse de Paris, je l’extermine !…

— Grâce, monsieur ! fit Huguette avec un joli cri d’effroi. Pardaillan la saisit par la taille, et deux baisers sonores retentirent sur les joues fraîches de Mme Grégoire.

Celle-ci, rouge de plaisir, balbutia :

— Pardonnez-moi d’être entrée ainsi… je venais…

— Peu importe, Huguette ! Vous venez toujours à propos. Par Pilate ! jamais je ne vis bouche plus vermeille et œil plus mutin ! Vous êtes à damner un archevêque…

— Je venais… pour ceci… acheva cependant Huguette.

— Ceci ? fit Pardaillan qui examina du coin de l’œil un sac rebondi que l’hôtesse déposait sur le coin de la table.

— Oui, monsieur le chevalier. Lorsque vous avez été arrêté… vous avez oublié votre argent… là… Alors, vous comprenez… je vous l’ai gardé… et je vous le rapporte !

Pardaillan était devenu pensif.

— Madame Huguette, dit-il tout à coup, vous mentez.

— Moi, grand Dieu !… Je vous jure…

— Ne jurez pas : c’est votre mari, maître Landry, qui a raflé mes pauvres écus ; et vous, bonne hôtesse, vous me les rapportez !…

— Quand cela serait ? interrogea-t-elle timidement.

— Madame Grégoire, fit Pardaillan en reprenant cet air pince-sans-rire qui désespérait si fort la belle Huguette, vous avez eu tort : cet argent, je le devais à maître Grégoire. Je ne l’ai pas oublié : je l’ai laissé pour lui. Ainsi, chère amie, vous allez remporter ce sac dans le coffre de votre estimable époux…

— Mais qu’allez-vous devenir ?… Partageons, au moins !

— Ma chère Huguette, sachez une chose : c’est que je ne me sens jamais aussi riche que lorsque je n’ai pas le sou. D’ailleurs, il me reste cette agrafe, ajouta-t-il en désignant le bijou que lui avait envoyé la reine Navarre et qui était fixé à son chapeau.

Huguette reprit le sac en souriant.

— Mais, continua le chevalier en l’enlaçant de nouveau, je ne vous en aime pas moins… vous avez bon cœur, Huguette… vous êtes aussi bonne que belle…

— Bonne… peut-être ! mais belle…

— Puisque je vous le dis, morbleu ! Me démentirez-vous ? Je vous dis que vous êtes la plus jolie créature que j’aie jamais vue. Cette gorge ferme et blanche, ces joues roses, ces dents éblouissantes, ce regard langoureux, ces bras d’une éclatante blancheur… ah ! Huguette, je crois, décidément, que je vous adore !…

Huguette baissa la tête et deux larmes perlèrent à ses cils.

— Quoi ! vous pleurez, Huguette ? s’écria Pardaillan avec la même fièvre, tandis que le désespoir éclatait dans ses yeux ; vous pleurez ! au moment où je vous jure que je vous aime !…

Huguette, doucement, se dégagea des bras de Pardaillan.

— Comme vous devez souffrir ! murmura-t-elle d’une voix altérée.

Pardaillan tressaillit.

— Moi ! souffrir ? Où prenez-vous que je souffre ?…

— Monsieur le chevalier…

— Chère Huguette !…

— Vous ne vous fâcherez pas si je vous dis tout ce que je pense ?

— Et que diable pensez-vous ? Voyons ! je serais curieux de le savoir…

Huguette releva ses beaux yeux sur le jeune homme.

— Je pense, dit-elle avec mélancolie, que vous avez beaucoup de chagrin. Oh ! ne riez pas ainsi. Vous me faites mal, et vous vous faites plus de mal encore à vous-même ! Oui, monsieur le chevalier, vous avez le cœur gros… parce que vous aimez… Croyez-vous donc que je ne m’en sois pas aperçue ?… Pardonnez-moi, je vous ai guetté… je vous ai vu passer des heures et des heures à cette fenêtre, le regard fixé sur la petite fenêtre d’en face… je vous ai vu descendre morose et de mauvaise humeur lorsqu’elle s’ouvrait… Vous aimez… vous avez laissé là votre cœur… et celle qui a disparu l’a emporté avec elle… Et vous croyez, pauvre jeune homme, qu ‘on ne vous aime pas… Eh bien ! détrompez-vous… on vous aime…

Pardaillan saisit vivement la main de Mme Grégoire.