Page:Lectures romanesques, No 141, 1907.djvu/14

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la première, ce sera de présenter à la reine, avec toute la délicatesse nécessaire, les offres que je t’exposerai dans un instant… la deuxième, ce sera, selon les dispositions où tu la trouveras, de lui offrir… ou de ne pas lui offrir… un cadeau… un petit cadeau… qui devra venir de toi-même, tu entends… je n’y veux être pour rien… oh ! rassure-toi… ce cadeau… ce sera facile… c’est simplement une boîte de gants… Tais-toi, je sais tout ce que tu pourrais objecter… tu diras, tu inventeras ce que tu voudras pour expliquer que tu sois chargée par moi du message… quant aux gants, je n’y suis pour rien… c’est toi qui les a achetés à Paris pour faire plaisir à ta bienfaitrice…

— Je supplie Votre Majesté de ne pas aller plus loin… c’est inutile ! s’écria Alice.

« Elle a déjà compris les gants ! songea Catherine. Et elle a peur !… »

Rapidement, elle retira le premier compartiment du coffret aux bijoux. La deuxième rangée apparut.

« Laissons-la respirer cinq minutes ! » poursuivit la reine en elle-même.

— Que dis-tu de cela, ma petite Alice ? fit-elle à haute voix…

— Cela ?… Quoi ?… ce que vous disiez, madame, balbutia Alice en passant une main sur son front.

— Eh ! non… cela !… ces rubis ! Regarde donc, voyons !

Sur la deuxième rangée qui venait d’apparaître rutilait un large peigne d’or que couronnaient six gros rubis dont les feux sombres et somptueux incendiaient la nuit du velours noir… C’était un royal bijou.

— Ce peigne siéra merveilleusement à tes cheveux, dit la reine. On dirait une couronne. Tu en es digne, ma fille.

Alice, d’un mouvement désespéré, tordait ses belles mains.

« Hum ! le coup est rude ! pensa Catherine. Les gants ! Les gants ! Voilà bien une affaire ! Ah ! les femmes de ce temps dégénèrent. Voyons… rassurons un peu cet esprit de petite fille. »

Elle prit le peigne et le fit chatoyer dans ses mains.

— Au fait, s’écria-t-elle, tu ne m’as pas dit comment tu étais arrivée là-bas… Raconte-moi un peu cela…

— J’ai fait comme il était convenu, répondit Alice avec cette volubilité fiévreuse que nous avons déjà remarquée en elle en de certaines circonstances ; le conducteur a fait rouler la voiture à l’endroit que vous aviez indiqué ; la voiture s’est brisée ; j’ai attendu… quelqu’un est venu, ajouta-t-elle d’une voix mourante.

— Quelqu’un ? fit la reine en relevant brusquement la tête.

— Un gentilhomme de la reine de Navarre. Il m’a conduit à la reine… j’ai fait le récit convenu… que j’avais voulu me convertir à la Réforme… que vous m’aviez persécutée… que j’avais résolu de me réfugier en Béarn… La reine m’a accueilli… vous savez le reste…

— Comment s’appelait ce gentilhomme ?

— Je n’ai jamais su son nom, dit Alice en frissonnant. Il est parti le jour même… Ah ! Majesté, vous voyez bien que je ne puis accomplir cette mission, puisque j’étais persécutée par vous… Comment la reine s’expliquerait-elle…

— Et tu dis que tu n’as jamais su son nom…

— Le nom de qui ? fit Alice avec le sublime aplomb du désespoir.

— Ce gentilhomme… Ah oui ! c’est vrai… il est parti le jour même… n’en parlons plus. Quant aux soupçons que pourrait avoir Jeanne d’Albret, tu n’es qu’une enfant… Tu es venue à Paris, j’ai su ta présence, j’ai su que tu étais au mieux avec la reine de Navarre et dans mon désir de conciliation, pour faire plaisir à ma nouvelle amie, c’est toi que je charge de lui dire… ce que tu vas savoir tout à l’heure… Mais parlons d’abord des gants. À propos, je t’engage vivement à ne pas les essayer toi-même, et à ne pas même ouvrir la boîte qui les contient !…

— Mais c’est impossible, madame ! Je vous dis que c’est impossible !…

L’accent était cette fois si ferme, bien que la voix fût tremblante, que Catherine fixa un regard aigu sur l’espionne.

— Que vous arrive-t-il ? demanda-t-elle. Dites-moi l’obstacle, nous verrons à le tourner.

— L’obstacle est infranchissable, madame. Je ne voulais pas en parler parce que je sens mon cœur se briser de honte toutes les fois que j’arrête mon esprit sur ces choses.

— Voyons ! fit Catherine d’une voix rude.

Alice baissa la tête, couvrit ses yeux de ses deux mains et murmura :

— La reine de Navarre… s’est aperçue…

— Aperçue de quoi ?… Êtes-vous folle ?

— De ce que j’étais auprès d’elle, madame !

— Jeanne d’Albret vous a devinée !