Page:Lectures romanesques, No 154, 1907.djvu/14

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attaque contre le maréchal de Damville : c’était le chevalier lui-même et le comte de Marillac.

En effet, dès que François de Montmorency eut quitté son hôtel, le chevalier en était sorti presque aussitôt, et avait couru rue de Béthisy, où il avait trouvé le comte. En deux mots, il lui avait raconté la tentative qu’allait faire le maréchal. Marillac n’avait en somme, que peu d’intérêt à aider Montmorency, malgré la sympathie qu’il éprouvait pour lui. Mais en revanche, il s’était mis une fois pour toutes à la disposition du chevalier, pour lequel son amitié et son admiration allaient grandissant. Aussi n’hésita-t-il pas à suivre son ami qui l’entraîna à l’hôtel de Mesmes.

— Si le maréchal entre dans l’hôtel, expliqua Pardaillan, et que nous ne le voyions pas en sortir, nous y entrerons à notre tour, et il faudra bien qu’on nous dise ce qu’il est devenu.

— Je ne crois pas qu’il entre, fit le comte. Je connais assez Damville pour supposer qu’il voudra éviter une entrevue de ce genre.

Les deux jeunes gens, cachés dans une encoignure, assistèrent donc à la scène que nous venons de retracer.

— Vous voyez que j’avais deviné juste, dit le comte de Marillac lorsque le maréchal fut parti.

Ils revinrent alors vers l’hôtel Coligny, le comte pensif, le chevalier inquiet de cette profonde inquiétude qui serre la gorge, et qu’il cachait sous ce masque de froideur et ces saillies qui lui étaient habituelles. En arrivant devant l’hôtel Coligny, Pardaillan tendit sa main et annonça qu’il retournait près du maréchal. Mais le comte le retint.

— Voulez-vous, dit-il, me faire un grand plaisir ?

— Je le veux de tout cœur, si la chose est possible ; et même si elle était impossible, je crois que je voudrais tout de même.

— La chose rentre dans l’ordre des possibilités courantes, cher ami ; il s’agit simplement de dîner avec moi ce soir. Il est environ huit heures ; nous irons dans une guinguette que je connais et où vous ne risquerez pas d’être vu ; puis, vers neuf heures, je vous emmènerai quelque part où je meurs d’envie de vous présenter à une personne…

— À qui donc ? fit le chevalier en souriant. L’autre soir, vous m’avez présenté à un roi, à un prince et à un amiral. Je vous préviens que je ne veux pas déchoir et qu’il me faut un personnage d’importance…

— Jugez-en, dit gravement le comte : c’est ma fiancée.

— Une reine, alors, dit le chevalier avec non moins de gravité. Ah ! mon cher, votre présentation de ce soir vaut à elle seule les trois de l’autre jour.

— Ainsi, vous acceptez ? Vous êtes libre ce soir ?…

— Je suis libre, mon ami ; mais fussé-je enfermé à la Bastille, que pour avoir l’honneur d’être présenté à celle que vous appelez votre fiancée, je démolirais au besoin la Bastille !

— Et je vous y aiderais, mon ami.

Devisant ainsi, et se disant le plus simplement du monde de ces choses énormes, les deux amis, bras dessus bras dessous, se dirigèrent vers la guinguette signalée par le comte et où ils dînèrent d’aussi bon appétit que s’ils n’eussent pas eu l’un et l’autre des motifs de préoccupation assez terribles pour enlever l’appétit au plus robuste mangeur.

Vers neuf heures, le comte de Marillac, suivi du chevalier, prit le chemin de la rue de la Hache.

Alice de Lux l’attendait ce soir-là avec une anxiété, nous dirons aussi avec une terreur extraordinaire dont nous allons savoir les motifs. Mais il est nécessaire de faire ici observer un détail qui peut-être n’aura pas échappé au lecteur.

Il avait été maintes fois question entre Pardaillan et Marillac de la scène du Pont de Bois ; mais jamais Pardaillan n’avait songé à dire que ce jour-là, la reine de Navarre était accompagnée d’une jeune fille qui paraissait être sa confidente. De son côté, Alice de Lux, qui était la prudence incarnée, n’avait jamais dit à son fiancé qu’elle se trouvait dans cette circonstance auprès de Jeanne d’Albret ; en effet, il eût fallu expliquer comment la reine avait été attaquée, et comme elle avait collaboré activement à cette attaque, elle craignait naturellement, par un mot imprudent, de révéler son attitude…

Il en résultait, d’une part : Marillac ignorait que Pardaillan eût sauvé sa fiancée ; de l’autre, Pardaillan ignorait que la compagne de la reine de Navarre fût précisément cette jeune fille dont son ami l’avait entretenu avant tant de passion.

Cela dit, revenons à Alice de Lux.

Nous avons dit que ce soir-là, il y avait en elle de l’anxiété et de la terreur. L’anxiété venait de la présence chez elle de Jeanne de Piennes et de Loïse. Elle avait, il est vrai, pris toutes ses précautions. Jeanne et sa fille étaient logées au premier, dans deux chambres qui