fabuleuses d’au-delà les grands monts, pour accomplir une œuvre terrible, avec pour seule arme les maléfices de son esprit puissant et pervers.
Pardaillan n’était ni un rêveur, ni un contemplatif, ni un abstracteur de quintessence. Il subissait simplement l’influence du mystère que dégageait Catherine. Mais il s’arracha à ces spéculations, et ayant payé, lui aussi, son tribut à la rêverie, ayant reconnu que le mal a sa poésie comme le bien, il redevint vite l’homme d’action qu’il était, et grommela :
— Reine, magicienne, démon, tout ce qu’elle voudra ! mais qu’elle ne touche pas à un cheveu du comte. Car j’irais la chercher au fond de son Louvre, et, du roi de France, je ferais un orphelin avant l’heure !
Ayant ainsi parlé, le chevalier chercha un poste d’observation convenable et n’en trouva pas de meilleur que les ruines du hangar qu’il avait jeté bas pour sauver la reine de Navarre.
À la vue des madriers amoncelés, au souvenir du beau tour de force qu’il avait accompli, de cette foule ruée et tenue en respect par sa Giboulée, puis le vaste atelier s’écroulant, les clameurs de souffrance des blessés, le grand hululement de la multitude qui refluait, prise de terreur, à ces souvenirs, il n’eut pas un sourire.
Seulement ses lèvres se pincèrent, sa moustache se hérissa, et, dressé tout debout dans la nuit sur l’entassement des ruines, il parut un instant comme la statue de la force symbolisant la force de ces temps de violence, il fut une ombre épique visitant les traces ravagées de son passage.
Ce fut là que Pardaillan se cacha, la dague au poing, les yeux fixés sur la maison mystérieuse du Pont de Bois.
Dans cette maison, c’était une scène poignante qui se déroulait à ce moment, malgré la froideur apparente des paroles échangées, avec, pour acteurs, la reine Catherine, l’astrologue Ruggieri, Déodat, l’enfant trouvé — la mère, le père, le fils.
Mais pour donner à cette scène toute sa signification, nous précéderons Déodat de Marillac dans la maison, comme déjà nous y avons une fois précédé Pardaillan. Cette fois, Catherine de Médicis n’écrit pas. Elle est tout entière à cette question :
— Viendra-t-il ?
Ruggieri la contemple silencieusement, avec une angoisse grandissante. Ce que pensent ce père et cette mère, nous allons le savoir par les quelques paroles qu’ils échangent. Voici ce que dit Catherine :
— T’ai-je pas dit de te rassurer ? Je ne veux pas qu’il meure ce soir. Je vais le sonder, savoir qui il est, mettre à nu son âme. S’il est tel que je l’espère, si je reconnais en lui mon sang et ma race, il est sauvé. Tu es le père, et je comprends tes appréhensions. Moi, René, je suis la mère ; mais je suis aussi la reine. Je dois donc étouffer les cris de la maternité, songer aux choses de l’État, et si cet homme s’écarte de moi, il mourra !
Cet homme, c’était Déodat, son fils.
— Catherine, dit Ruggieri qui, dans ses moments d’émotion oubliait l’étiquette, qu’il vive ou meure, en quoi cela peut-il intéresser les affaires de l’État ? Qui saura jamais…
— Toute la question est là ! interrompit Catherine d’une voix sourde. Si le secret devait toujours être gardé, je m’efforcerais d’oublier que quelqu’un par le monde peut un jour se dresser devant moi et me demander compte de sa détresse. Oui, je crois que je parviendrais à l’oublier. Mais vivre avec cette menace perpétuelle, impossible ! Crois-tu donc que mon cœur, à moi aussi, ne soit pas ému quand tu m’as dit qu’il vivait ! Crois-tu donc que ce soit sans déchirement que j’en sois arrivée à me dire : les morts seuls gardent le secret !
— Ah ! madame, s’écria amèrement l’astrologue, pourquoi ne pas me dire que vous avez résolu sa mort et que rien ne peut le sauver, puisque son père est impuissant et que sa mère le condamne !
— Je te répète qu’il n’est pas condamné !… pas encore !… Au contraire, s’il veut, bien des choses peuvent s’arranger. Écoute-moi, j’ai longuement et lentement étudié cette situation. Je crois vraiment que les choses pourraient s’arranger selon mes vœux…
Catherine garda un moment le silence comme si elle eût hésité à développer toute sa pensée. Mais elle était habituée à parler devant l’astrologue comme elle eût pensé tout haut. Ruggieri n’était pour elle qu’un écho fidèle, esclave de ses désirs, rompu à une longue obéissance absolue. Elle reprit :