Page:Lectures romanesques, No 156, 1907.djvu/13

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dit que vous aviez poursuivi l’homme qui nous avait attaqués…

— Jusqu’à la porte Bordet, monseigneur.

— Où vous l’avez proprement doué d’un coup d’épée, n’est-il pas vrai ?

— C’est exact, monseigneur, fit le vieux Pardaillan qui, tortillant sa moustache d’un doigt fiévreux, commençait à s’échauffer.

— Eh bien, fit brusquement le maréchal, l’homme que vous avez tué se porte à merveille !

— Ah ! ah ! voilà du nouveau, dit froidement le vieux routier qui, d’un geste rapide, s’assura que sa dague et sa rapière étaient en bonne place et prêtes à fonctionner.

— Vous voyez que je suis bien renseigné. Mais je sais aussi autre chose. Voulez-vous que je vous en instruise ?

— Monseigneur est aujourd’hui d’une obligeance dont je lui serai toujours reconnaissant.

— Bon. Savez-vous comment s’appelle l’homme que vous n’avez pas poursuivi jusqu’à la porte Bordet, que vous avez accompagné bras dessus bras dessous jusqu’au cabaret du Marteau qui cogne, que vous n’avez nullement cloué d’un coup d’épée, et qui vient rôder autour de l’hôtel, en sorte que je le ferai prendre et ficeler ?

— Je serais charmé de le savoir, monseigneur.

— Eh bien, il s’appelle le chevalier de Pardaillan, et c’est votre fils !

— Le même qui vous tira des mains des truands ? interrogea le vieux routier avec une ingénuité d’une insolence admirable.

Le maréchal demeura un moment sans voix. Il s’attendait à voir pâlir Pardaillan, et Pardaillan lui riait au nez.

Il eut un mouvement de rage. Le vieux routier dégaina à moitié sa dague.

— Ne nous fâchons pas, reprit sourdement Damville ou du moins, pas encore. Voyons : ce que je viens de vous dire est-il exact ?

— Du moment que vous le dites, monseigneur, je serais bien audacieux d’affirmer le contraire. Vous dites que mon fils vous a attaqué, cela doit être. Vous dites que je l’ai accompagné. C’est possible. Il ne me reste qu’à vous féliciter d’avoir été si bien renseigné. Je vous croyais entouré de gentilshommes et de combattants ; vous êtes entouré de gens de police, à ce qu’il paraît. Vous m’apparaissiez comme un chef de guerre ou un chef de parti ; vous vous révélez chef de sbires.

— Pardaillan !…

— Monseigneur !

Les deux hommes se mesurèrent du regard. Et cette fois encore ce fut le tout puissant seigneur qui baissa les yeux devant l’aventurier, Pardaillan continua :

— Mon langage vous déplaît, monsieur le maréchal. Est-ce ma faute… Comment ! Je me trouve en présence de la pire solution ! Pour vous rester fidèle, je risque de devenir l’ennemi de mon fils, c’est-à-dire l’être que j’aime et admire le plus au monde ! Je m’efforce à concilier vos intérêts avec les siens ! Pour ne pas vous donner une inutile inquiétude, je me mets en frais d’imagination ! Et vous venez me reprocher de n’avoir pas cloué mon enfant d’un coup d’épée. Par la mort-Dieu, monseigneur, ma rapière est prête à fournir le coup demandé, à ceux qui vous ont si bien renseigné. Il n’y aura de changement qu’en la personne du mort, voilà tout.

Le maréchal considérait d’un œil sombre l’intrépide pauvre diable qui le regardait, de son côté, avec une éclatante audace.

— Pardaillan, fit-il tout à coup, la question n’est pas là…

— Où est-elle donc, monseigneur ?

— Votre fils doit savoir quelles personnes se trouvaient dans la voiture ?

— Je l’ignore, monseigneur !…

— Allons donc ! Ne vous mettez pas en nouveaux frais d’imagination ! Non seulement il le sait, mais il a dû vous le dire !

— Vous vous trompez, monseigneur !

Le maréchal s’avança de deux pas rapides vers Pardaillan, et plongeant son regard ardent dans ses yeux comme pour essayer de lui arracher la vérité, il reprit d’une voix que la fureur faisait trembler :

— Et qui sait si vous n’êtes pas d’accord avec lui ! qui sait si tous deux vous ne m’avez pas suivi, espionné ; oui, espionné ; monsieur l’homme fidèle, vous me trahissez ! Vous et votre fils, vous savez où a été la voiture ! vous savez qui elle contenait ! Et dans votre repaire, dans votre cabaret, un cabaret de truands, vous avez sans doute combiné quelque plan. Le fils chez Montmorency, le père chez Damville… la chose s’arrangeait d’elle-même… monsieur de Pardaillan, vous et votre fils, je vous tiens pour des misérables !…

Le vieux routier se redressa un peu pâle.

— Monseigneur, dit-il d’une voix terriblement paisible, je tiendrai cet outrage pour nul et non avenu tant que vous n’aurez pas relevé le gant qui pend encore à votre porte.

Damville bondit, fou de fureur et se