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Page:Lectures romanesques, No 159, 1907.djvu/15

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Pardaillan ; un grand silence se fit dans ce petit espace, tandis que la foule continuait, à droite et à gauche, à faire entendre son grondement sourd : la minute fut poignante.

— Rendez-vous donc, par la mort-dieu ! dit le capitaine.

Les Pardaillan secouèrent la tête. Le capitaine haussa les épaules et dit :

— Prenez-les !

Ensemble, à ce mot qui leur fut un signal d’attaque, ensemble les épées fulgurèrent, les pointes fouillèrent à travers les bois, deux ou trois lames se cassèrent d’un coup sec, quatre hommes tombèrent, du sang gicla, et la bande se reculant pour un nouvel assaut, sans faire attention à ses morts, cria d’une voix :

— Ils en tiennent ! Ils en tiennent !

C’était un succès ; les deux Pardaillan étaient rouges de sang, blessés tous deux à la tête, aux bras, à la poitrine.

— Adieu, chevalier ! fit le vieux routier en tombant sur un genou.

— Adieu, mon père ! dit le chevalier en s’accoudant pour ne pas tomber.

— Au nom du roi, rendez-vous, et je tiens votre rébellion nulle et non avenue ! cria le capitaine avec une émotion dont il ne fut pas maître.

— Merci, monsieur ! dit le chevalier de sa voix la plus jolie. En mourant, c’est vous que je regarderai, car vous êtes ici la seule figure qu’un honnête homme puisse regarder… Chargez-nous !

Le capitaine fit un signe et cria :

— Démolissez, d’abord !…

Et de nouveau, le formidable rang d’acier s’avança comme une bête monstrueuse, en dardant ses pointes. Au même instant, sous des coups furieux, la barricade s’écroula, le passage se trouva libre.

— Voici la fin de la fin ! s’écria le vieux Pardaillan dans un suprême éclat de rire.

En même temps, il portait deux ou trois coups de pointe.

— Adieu, Loïse ! murmura le chevalier dans un frémissement de tout son être, en fermant un instant les yeux.

Et lorsqu’il les rouvrit, ces yeux, il demeura pantelant, ébloui, extasié, frappé d’un étonnement surhumain, rêvant qu’il était mort, ou que, dans le vertige de l’angoisse, une consolante et radieuse apparition lui était survenue pour le conduire aux portes de l’infini. Et voici ce qu’il voyait :

Les pointes des épées menaçantes qui étaient à un pouce de sa poitrine s’étaient relevées ou abaissées. Les assaillants reculaient à droite et à gauche, étonnés, fascinés, laissant libre une route bordée d’acier qui aboutissait à Henri de Montmorency à cheval, immobile, pétrifié, couvert d’une pâleur livide. Dans ce chemin, une femme vêtue de deuil s’avançait, lente et majestueuse…

— La dame en noir ! haletait le chevalier.

Et sur le seuil de la maison, devant la porte où s’élevait la barricade, devant cette porte qui venait de s’ouvrir soudain, se tenait une jeune fille adorable dans sa pose à la fois craintive et hardie, avec ses cheveux dorés lui faisant un nimbe glorieux, son doux visage pâle, — et du seuil élevé, elle abaissait sur le chevalier un long regard chargé d’admiration et d’effroi…

— Loïse ! bégaya le jeune homme qui, d’un mouvement très doux, se mit à genoux sur le sol baigné de sang.

Deux larmes perlèrent au bord des longs cils de la jeune fille. Et son regard se voila alors d’une céleste tendresse.

— Puissances du ciel, je puis mourir… elle m’aime !…

Le chevalier tomba à la renverse, évanoui, tandis que le vieux Pardaillan, mordant sa rude moustache grise, grommelait :

— Ah ! c’est la Loïse, Loïson, Loïsette ?… Eh bien, je ne suis pas fâché de trépasser avec ce spectacle-là dans les yeux !

La dame en noir, Jeanne de Piennes s’avançait vers Henri de Montmorency.

Au moment où la porte s’était brusquement ouverte, au moment où cette femme était ainsi apparue, se jetant entre les épées et les blessés, les assaillants s’étaient reculés effarés. Et la dame avait si grand air, le front haut, majestueuse et calme, elle parut si imposante que l’étonnement se changea en respect, que tous comprirent qu’il allait se passer quelque chose d’étrange, et que nul parmi ces hommes furieux tout à l’heure n’eût voulu alors porter un dernier coup aux blessés que d’un geste elle avait mis sous sa protection.

Jeanne de Piennes s’arrêta à deux pas du maréchal de Damville. Hypnotisé, Henri l’avait vue venir comme on voit marcher une apparition dans un rêve. Il n’y avait plus en lui ni amour, ni fureur, ni jalousie : il n’y avait que le prodigieux étonnement de la voir là. Comment ? Pourquoi ? Sa tête s’y perdait. Il attendait, voilà tout.

— Monseigneur, dit Jeanne de Piennes, je prends ces deux hommes : ils sont à moi. L’un d’eux est celui qui m’a ramené l’enfant qui m’avait été volé ; l’autre,