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Page:Lectures romanesques, No 159, 1907.djvu/18

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mort comme le suprême repos. En effet, son dernier espoir s’était évanoui. Quel espoir ? La lettre qu’elle avait écrite à François de Montmorency !

Elle ne doutait pas que cette lettre n’eût été remise. En interrogeant Alice de Lux, elle avait pu se convaincre que le maréchal était à Paris. Il lui semblait impossible que François n’eût pas reçu cette lettre touchante où elle avait raconté la vérité sur la tragédie de Margency. Et François n’était pas accouru à son secours ! François l’abandonnait, la croyait encore coupable !

Il est vrai qu’il avait pu la chercher sans la trouver ; mais cela même lui paraissait impossible. Dans sa lettre, elle accusait si hautement Henri de Montmorency que, fatalement, il avait dû apparaître à François comme le ravisseur. En dernière ressource, le maréchal eût pu en appeler à la justice royale.

Aucune intervention ne s’était produite : depuis qu’elle avait été arrachée à son logis de la rue Saint-Denis, toujours il n’y avait eu autour d’elle que silence. Un moment, elle s’était raccrochée à cet espoir que le chevalier de Pardaillan n’avait pas remis la lettre. Elle s’exerça à lui supposer assez de perversité pour ne pas remplir la mission dont il s’était chargé, comme le père avait été assez pervers, jadis, pour exécuter l’enlèvement de Loïse.

Mais à force d’y songer, elle s’affirmait que cela même était impossible. Tantôt elle se disait qu’un homme si jeune, qui aimait probablement sa fille, ne pouvait être arrivé encore à ce degré de méchanceté. Tantôt elle se disait que l’intérêt même du chevalier devait l’avoir poussé à accomplir sa mission. Elle en arriva donc à admettre que François de Montmorency l’abandonnait. Et cette affreuse conviction qui enlevait le secret espoir de sa vie activa la maladie qui la rongeait.

Quant à Loïse depuis qu’elle savait que ce jeune homme en qui elle avait eu si naïvement confiance était le fils de l’homme qui l’avait enlevée jadis, elle faisait d’inutiles efforts pour le détester ou pour l’oublier. Telle était la situation morale des deux femmes, lorsqu’un soir Alice de Lux monta chez elles.

Elle était plus pâle encore que d’habitude. Jeanne et Loïse la considéraient avec un effroi mêlé de pitié. Alice se tint debout devant la Dame en noir, les yeux baissés.

— Madame, dit-elle, rendez-moi au moins cette justice que j’ai tout fait pour adoucir votre captivité.

— Cela est vrai, dit Jeanne, et je ne me plains pas.

— Une abominable circonstance de ma malheureuse vie, madame, m’a obligée à me faire geôlière.

— Vous me l’avez dit, pauvre femme, et je vous ai plainte de tout mon cœur…

— Ainsi, dit Alice qui frissonna légèrement, lorsque vous serez libre vous ne vous en irez pas en me maudissant… vous ne conserverez aucune haine contre moi ?

Jeanne secoua amèrement la tête.

— Libres !… Hélas !… le serons-nous jamais ?

— Vous l’êtes !

Un tressaillement agita Jeanne de Piennes. Loïse pâlit.

— Vous êtes libres toutes deux, reprit Alice avec une calme fermeté ; cette circonstance dont je vous parlais n’existe plus. Adieu, madame… adieu, chère demoiselle… puissiez-vous garder pour moi plus de pitié que de ressentiment !… Je vous délivre de ma présence qui doit vous être odieuse… Cette porte est ouverte… les portes du bas le sont également… Adieu !

À ces mots, Alice de Lux se retira. La mère et la fille demeurèrent un instant comme accablées de la triste joie qu’elles éprouvaient. Puis, elles s’embrassèrent dans une étreinte pleine d’effusion. À ce moment, une pensée fit tressaillir Jeanne de Piennes. Elle allait se trouver avec sa fille sans aucune ressource, sans logis, sans pain. Retourner à la maison de la rue Saint-Denis, c’était sans aucun doute retomber au pouvoir d’Henri de Montmorency. Elles étaient libres, soit ! mais où aller ?

Jeanne comprenait qu’elle n’aurait plus la force de travailler pour sa fille, comme jadis. Ainsi, cette liberté qu’on lui offrait n’était qu’un changement de désespoir. Elle y gagnait seulement de ne plus redouter Henri de Montmorency.

— Qu’allons-nous devenir ? ne put-elle s’empêcher de murmurer.

— Ma mère, dit bravement Loïse, comme si elle eût suivi pas à pas la pensée de Jeanne, vous avez travaillé pour nous deux ; maintenant, ce sera mon tour, voilà tout !… Et quant au plus pressé, nous avons encore ce beau diamant que vous m’avez montré plus d’une fois.

— Ce diamant, ma chérie ! Écoute, tu venais de m’être enlevée, je pleurais, je courais comme une folle, il me semblait qu’on m’avait arraché le cœur, qu’on m’avait enlevé l’âme de ma vie, et je comprenais que j’allais mourir, lorsque cet homme se présenta dans la cabane ; il te