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IV.


PARABOLES ET ALLÉGORIES.




L’ENFANT DE LA PEINE.


HERDER.


Un jour la Peine vint s’asseoir près des eaux bruyantes d’un torrent ; elle méditait. Enfoncée dans le rêve des pensées, elle façonna avec ses doigts une figure d’argile. — Qu’as-tu là, déesse rêveuse ? lui dit Ju­piter, qui venait de s’approcher d’elle. — C’est une figure que j’ai fa­çonnée avec de l’argile ; anime-la, ô Dieu, je t’en supplie ! — Eh bien ! soit, qu’elle vive ! mais cette créature m’appartiendra. — Non, lui ré­pliqua la Peine ; laisse, laisse-la-moi ; mes doigts l’ont façonnée. — Et moi j’ai animé l’argile, dit Jupiter. — Pendant qu’ils parlaient de la sorte, s’approcha aussi Tellus : Cet enfant est à moi, dit-elle ; car la Peine l’a arraché de mon sein. — Eh bien ! dit Jupiter attendez ; je vois venir celui qui décidera la question : c’est Saturne. Saturne alors parla de la sorte : Cette créature vous appartient à tous ; c’est ainsi que le veut le destin suprême. Toi, Jupiter, qui lui as donné la vie, tu re­prendras, après sa mort, le souffle que tu as mis en elle ; toi, Tellus, tu auras ses ossements, tu ne dois pas prétendre à plus ; et toi, ô Peine, toi sa mère, on te la confiera pendant sa vie. Aussi longtemps qu’un souffle animera ton enfant, tu ne l’abandonneras pas ; semblable à toi, il s’in­clinera tous les jours de plus en plus vers la tombe. L’oracle du destin est accompli ; cette créature s’appelle Homme. Pendant sa vie elle ap­partient à la peine ; après sa mort, à la terre et à Dieu.

Anon.