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Ceux qui retardèrent tombèrent à leur tour, mais pour ne plus se relever ; on les avait fusillés
 

La journée du lendemain se passa sans apporter aucun changement. Nous étions toujours couchés. Chaque fois qu’un de nous faisait mine de se lever, les balles sifflaient au-dessus de nos têtes !

Ce n’était rien alors : mais quand la nuit vint, une pluie abondante tomba et continua sans cesse.

En peu de temps, la terre fut détrempée ; la situation devenait insoutenable. Nos habits, qui nous avaient collé à la peau tout d’abord, s’étaient maintenant incrustés dans le sol : boue et hommes ne faisaient plus qu’un ! Les plus hardis tentèrent de se lever ; mais à chaque mouvement, les meurtrières vomissaient du plomb, en même temps que les imprécations de soldats ivres ; et les balles, lancées au hasard, frappaient « dans le tas, » comme avait dit l’officier
 

Quand le jour se fit, le tableau qui s’offrit à nos yeux fut terrible : il y avait au milieu de ce tas de boue des taches de sang et des morts, des blessés sans secours ; c’était horrible !

Un grand bruit me tira de ma torpeur. Il grandit et un autre bruit parut lui répondre. Bientôt je fis comme les autres : je regardai.

C’était un convoi de femmes et d’enfants qui s’avançait. Des enfants !
Elles avaient marché toute la nuit et la pluie, tombant par rafales, avait déchiré les tissus trop justes ; beaucoup étaient presque nues jusqu’à la ceinture ; quant à leurs chaussures, la boue du chemin les avait dévorées : elles allaient nu-pieds. On les reconnaissait bien, celles-là : elles boitaient !
 

Cela dura cinq fois vingt-quatre heures ; après quoi, appelé par ordre alphabétique, je comparus enfin devant un officier.

Je ne sais ce que je lui dis : je lui parlai du froid, de la faim, de la pluie et de l’enfant, surtout

Il me renvoya ; le lendemain, embarqué à bord d’un train de voiture à bestiaux, je roulai vingt-deux heures !

J’avais perdu tout sentiment du jour et de la nuit. Quand je sortis de là, je ne savais si le jour se levait ou si la nuit allait baisser.

 

Quatre mois de captivité (extrait du Gaulois du 21 septembre 1871).