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répètent chaque soir sur les boulevards et surtout entre les portes Saint-Denis et Saint-Martin.

Aux ateliers nationaux, je me suis lié avec un ancien ouvrier corroyeur, qui s’est jeté dans la littérature. Ses premiers essais, dont il m’a lu quelque chose, ne me semblent pas plus mauvais que bon nombre de mélodrames représentés jusqu’ici.

Malheureusement, l’époque est peu favorable à dramaturges. Le théâtre est dans le marasme et mon ami Dubois, lui aussi, a dû venir réclamer une pioche ou une pelle pour exécuter, à raison de vingt-trois sou par jour, les travaux qu’on doit nous donner… un jour ou l’autre. — La gloire attendra.

Tous deux, dans le chemin de ronde reliant la barrière de Longchamp à celle des Bons-Hommes, assis sur une des brouettes de notre « chantier », nous causons de toutes sortes de choses, lui, fumant sa pipe, et moi « ne fumant rien » comme dit la chanson.

Très sceptique en politique, Dubois ne comprend rien à mes emportements dans les discussions que j’ai avec les camarades.

Il me rappelle les blagueurs qui, sous la première Révolution, avaient sans cesse plein la bouche de leur amour du peuple, des droits du peuple, des vertus du peuple et qui ne se sont pas fait faute, à l’occasion, de le mitrailler comme en Prairial, par exemple. Il me cite les Barrère, les Barras, les Carnot, les Cambacèrès, les David, qui surent très bien s’accommoder plus tard de l’Empire… et se faire, au moyen de leurs convictions, infiniment plus de mille livres de rentes qu’en élevant des lapins.

À cela je lui réplique qu’il faut distinguer entre la République et les républicains. Qu’il est hors de doute qu’aujourd’hui, comme il y a cinquante ans, la République n’est pour le plus grand nombre de ceux qui s’en