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Page:Legendre - Sabre et scalpel, 1872.djvu/22

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ALBUM DE LA MINERVE.

salle voisine. Après une absence de quelques minutes, Duroquois rentra d’un air souriant.

Il roula près du feu deux immenses fauteuils rembourrés dans les quels nos deux amis se laissèrent choir voluptueusement,

— Vous devez avoir froid, sans doute, mon cher monsieur Peyron, fit Daroquois en se frottant les mains ; un petit verre ne peut que faire circuler le sang. Je viens d’ailleurs de renvoyer votre voiture, il faut bien maintenant que vous subissiez mon hospitalité, c’est compris, là !

Sans donner à Gilles le temps de répondre, il fit apporter sur la table une carafe de jamaïque avec deux verres et un bol de sucre blanc.

— Je suis réellement confus, cher monsieur Duroquois, de votre accueil tout amical, dit Gilles avec bonhomie, et je ne sais vraiment si je dois accepter toutes ces politesses.

— Comment donc ! comment donc ! c’est de bon cœur, et vous me feriez de la peine en refusant, allez ! C’est compris !

— Maintenant, poursuivit Duroquois, pendant que tous deux buvaient à petites gorgées la liqueur que ce dernier avait préparée, je suis prêt à entendre les communications que vous avez à me faire relativement à la personne dont vous m’avez parlé hier ; merci, à la vôtre !

— Mon Dieu, monsieur, puisque vous êtes assez bon pour me le permettre, je commence de suite ; voici l’affaire.

— Gilles passa dans la chambre voisine, tira de son paletot la liasse qu’il avait apportée et vint l’étaler sur la table en face de Duroquois.

— Vous avez peut-être entendu parler, cher monsieur, de feu le commandant Courtois qui a navigué longtemps dans les eaux du Golfe et qui a été tué en capturant une goëlette de pêche américaine.

— Mais, je me rappelle en effet,… oui, ce commandant,… nous étions même alliés du côté de ma mère, dont il avait épousé la cousine. Vraiment, touchez-là.

— Diable, pensa Gilles en lui-même, je me suis engagé sur un terrain dangereux ; prenons garde de faire des bêtises, et tenons-nous sur la réserve.

Il avait, en effet, arrangé sa petite histoire et écrit son dossier de la veille, sans se douter que ce nom de Courtois devait provoquer la réponse qu’il venait d’entendre et qui le déconcerta quelque peu.

Il continua cependant tout haut :

— Ah ! voilà qui est du neuf pour moi et qui dérangera peut-être ma petite affaire. Pardon, cher Monsieur, sans vouloir être indiscret, vous portez sans doute d’autres prénoms que celui d’Auguste, sous lequel je vous ai toujours connu ?

— Charles-Marie-Auguste Duroquois, monsieur, c’est comme cela que j’ai été baptisé, oui bien. Charles était le nom de mon parrain, Marie, celui de ma mère, et Auguste celui de mon père ; merci, en usez-vous ?

— Allons voilà qui me déroute encore davantage. Mon Dieu, comme mon client va être désappointé ! Je puis bien vous dire de suite la chose, et mon récit sera court, puisqu’il y a évidemment erreur de nom.

Le dossier que voici continua Gilles en prenant la liasse, contient certaine notes écrites par le fils du commandant…

— Comment ! cria Duroquois ; mais mon parent est mort célibataire et je ne vois pas…

— Attendez un peu, nous trouverons peut-être l’explication de tout cela, — mais pour le moment, fit Gilles à part lui, je m’embrouille en conscience — Dans tous les cas, continua-t-il tout haut, ce pauvre homme avait mené une vie assez orageuse ; mais il avait bon cœur. Un jour il partit pour l’Australie ; c’est-là que M. Dupin, mon client le rencontra. Ils se lièrent bientôt d’une étroite amitié. Pendant deux ans, ils coururent ensemble les placers et amassèrent un joli magot. Un soir qu’ils s’étaient éloignés, chacun de son côté, Dupin revint à la cabane vers dix heures et attendit en vain son compagnon qu’il ne revit plus jamais.

Plus tard, Dupin revint au pays, emportant avec lui une somme assez considérable, comprenant ses propres épargnes et celles de son compagnon ; car ils ne les avaient jamais partagées. Dans les papiers de ce dernier, il est souvent fait mention d’un M. Joseph A. Duroquois. Ayant prononcé un jour votre nom devant mon ami Dupin, il se prit à concevoir des espérances et crut qu’il pourrait peut-être avoir des nouvelles de son compagnon. Il m’a fallu lui promettre que je viendrais de suite vous voir, et c’est ce qui vous explique mon empressement d’hier soir qui a pu vous paraître indiscret, peut-être. Que voulezs-vous ? il était chez moi qui attendait la réponse.

— Je suis fâché, dit Duroquois d’un air naïf et sans paraître avoir remarqué l’incohérence du récit de Gilles, mais je connais pas le premier mot de tout cela, merci bien !

— C’est comme je vous le disais, mon cher monsieur, il y a évidemment erreur de nom. Comme mon pauvre ami va avoir de la peine, lui qui s’était attaché à ce dernier espoir avec tant de confiance. Car il a conservé les épargnes de son ami et il m’avait chargé de les faire tenir à ses parents si je parvenais à en découvrir.