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Page:Legendre - Sabre et scalpel, 1872.djvu/52

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ALBUM DE LA MINERVE.

pin. Vous manifestez de l’étonnement ? Attendez, vous n’êtes pas au bout. Cette société, comme je viens de vous le dire était puissamment organisée, ayant ses agents dans tous les principaux endroits du pays, ses degrés et son mot de passe. Le nombre des membres ne pouvait pas dépasser le chiffre de cent, et chacun des associées, lié par au serment terrible, était punissable de mort pour la plus légère infraction aux règlements. Qu’il me suffise maintenant de vous dire que le chef suprême était Giacomo Pétrini et le plus haut en grade après lui, Gilles Peyron.

— Comment ! interrompit Gustave, ces deux hommes que je rencontre chez Maximus Crépin ?

— Eux-mêmes. Au bout de deux ans, la justice s’est un peu mêlée de l’affaire, et la société a dû se séparer pour un temps illimité. Il y a bien eu des arrestations par-ci par-là ; mais comme cela arrive toujours, après quelques convictions contre de pauvres diables, criminels plutôt par ignorance que par volonté, l’affaire a été étouffée, et les meneurs véritables ont aujourd’hui un nom sans tache devant le public. Plusieurs même d’entre eux ont fait partie du jury qui a prononcé la condamnation.

— Mais comment savez-vous tout cela, vous ?

— Oh ! j’en étais, je ne m’en cache pas ; et vous voyez que si je livre les autres, je me livre volontiers avec eux.

— Landau ne disait pas, cependant, qu’à cause de cela même il avait subi six mois de prison et que conséquemment suivant la maxime de droit non bis in idem, il était inattaquable.

— Maintenant, poursuivit-il ; je suis que vous aimez Mademoiselle Moulins et que Pétrini est votre rival. Je sais aussi que Gilles Peyron et lui ont fait un complot ensemble dont le dénouement serait le mariage de Pétrini avec cette jeune fille, afin de couvrir par cette alliance, des antécédents dangereux et de s’assurer en outre un revenu assez enviable, Les anciens surbordonnés de Pétrini ne sont pas sans voir cela. J’ai rencontré souvent autour de la demeure de Maximus les deux hommes qui ont fait feu sur moi. Ils sont tous deux membres de la société et surveillent leur ancien chef dans l’espoir d’avoir une part peut-être dans le bénéfice, tout en ayant l’air de le servir. Je crois que c’est même par son ordre qu’ils ont fait feu sur moi.

D’après ce que je connais de vous je sais que pour vaincre votre rival seulement, vous ne voudriez pas vous servir de ces armes, mäis pour sauver du déshonneur une famille honnête, vous y réfléchirez et peut-être alors trouverez-vous que je n’ai pas mal agi en vous avertissant.

— Je ne sais pas ce que je pourrai faire de tout ce que vous venez de m’apprendre, dit Gustave en se levant : dans tous les cas, j’aime à croire que vos motifs sont bons, je vous remercie toujours et j’y réfléchirai.

Landau s’était levé à son tour.

— Avant de partir dit-il, il me reste quelque chose à vous apprendre qui pourra vous servir au besoin : c’est le mot d’ordre de l’association ; le voici, retenez le bien et essayez-en l’effet dans l’occasion :

Chi tace sta ricco.

La réponse est :

Chi parla sta morto.

Maintenant, je n’ai plus rien à dire ; je vous souhaite bon succès.

Landau sortit et s’éloigna tranquillement. La révélation qu’il venait de faire et la lettre anonyme que Laurens avait reçu se complétaient l’une et l’autre et se donnaient réciproquement une apparence de vérité. Après le départ de Landau, le jeune homme resta perdu dans ses réflexions et flottant indécis entre les projets divers qui se présentaient à son esprit.

CHAPITRE XIII.

Ce jour là même, Gilles Peyron et Giacomo eurent ensemble un long entretien.

— Avez-vous vu André Luron et Beppo Saloi dernièrement ? demanda Gilles au Docteur.

— Pas depuis cinq ou six jours au moins. Y a-t-il du nouveau ?

— Comment ! du nouveau ! Mais vous ne savez pas qu’ils ont tiré sur Jacques Landau avant hier soir ?

— Allons tant mieux. Ce Landau m’a toujours fait l’effet d’un traître, et un jour ou l’autre il nous aurait vendus.

— Il peut nous vendre encore.

Comment ! dit Pétrini d’un air étonné, ne m’avez vous pas dit qu’ils l’ont tué.

— Pas tout-à-fait. Mon cher maître, il me semble que vous vous endormez un peu dans les délices de Capoue et que vous veillez moins bien que de coutume à nos affaires. Vous négligez un peu les anciens camarades et vous avez tort. J’ai vu Beppo avant hier soir et voici comment la chose s’est passée.

Depuis plusieurs jours André et lui s’étaient aperçu, que Landau rôdait un peu souvent autour de ce château et semblait épier leurs mouvements. Ils s’en sont ouverts à moi.