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Page:Legendre - Sabre et scalpel, 1872.djvu/67

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ALBUM DE LA MINERVE.

vaient toujours la bonne direction. Maximus lui-même n’était pas très-sûr de son chemin.

À un moment donné, il s’arrêta et appela tout son monde autour de lui, pour reprendre le rhumb du vent.

L’un des valets de ferme constata que Maximus, au lieu de s’avancer en ligne droite, avait parcouru presque un demi-cercle.

Peut-être Pétrini n’était-il pas étranger à cette déviation.

Maximus s’emporta contre lui-même.

— Comment diable ai-je pu me tromper ainsi ? dit-il ; c’est une demi-heure de perdue. Allons ! remettons-nous dans la bonne voie et en route !

La petite caravane reprit son ordre de marche et s’avança à travers les branches et les buissons ruisselants de gouttes de pluie qui fouettaient la figure et pénétraient sous les manteaux.

Gilles Peyron, comme nous l’avons vu, se trouvait en compagnie de Duroquois.

Tout-à-coup, il arrêta ce dernier et, lui saisissant le bras, se mit à écouter.

— N’avez-vous rien entendu, dit-il ?

— Mais non ; fit naïvement Duroquois.

— Il me semble pourtant avoir reconnu une voix humaine, et si je ne me trompe pas une voix de femme là-bas, sur la gauche.

— C’est curieux que je n’ai rien entendu ; positif !

— Après tout, je pourrais m’être trompé, et je n’oserais pas arrêter toute la troupe pour si peu, ce serait perdre un temps précieux, sans aucun résultat peut-être. Pourtant si c’était elle !

Faisons une chose. Continuez avec les autres et tenez votre place ; pendant ce temps-là, je vais aller faire une petite course dans la direction où j’ai entendu le cri ; je vous rejoindrai à la lisière de l’autre côté du bois.

Sans attendre la réponse de Duroquois, il s’élança et disparu dans la nuit.

Ce dernier continua sa marche et rejoignit la ligne en faisant des vœux pour le succès de l’honnête intendant.

Quant à Gilles, nous avons vu dans le chapitre précédent quel avait été le but de sa course.

À la fin, la troupe arriva de l’autre côté de la forêt, dans une éclaircie qui se trouvait à environ trois milles du point de départ.

Rien n’avait été découvert et Gilles manquait à l’appel.

Duroquois expliqua son absence. Maximus eut une lueur d’espoir.

— Noble cœur ! dit-il, que Dieu bénisse ses efforts ! Il aura un nouveau titre à ma reconnaissance, à mon amitié !

À la demande de Maximus, on s’installa sous un grand pin, et comme l’orage avait beaucoup diminué l’un des hommes alluma un grand feu autour duquel chacun vint s’asseoir pour sécher un peu ses habits.

Cependant le temps se passait et Gilles Peyron ne revenait pas. Maximus était sombre et gardait le silence, pendant que Pétrini faisait entendre des soupirs prolongés.

François et le père Chagru s’étaient retirés un peu à l’écart et causaient à voix basse en fumant leurs pipes assis sur le tronc d’un érable renversé.

— Quel temps de chien ! disait Chagru, et pas une étoile, encore ! je donnerais quelque chose pour être revenu.

— Bah ! répondait François, nous en avons enduré bien d’autres. D’ailleurs, je me console en pensant que l’intendant est aussi mouillé que nous.

Ça, c’est pas mal vrai ; vous continuez donc à le détester ce cher homme ?

— Avec çà que vous paraissez l’aimer pas mal, vous, par exemple.

— Le fait est que c’est un fieffé pendard.

— Et qui veut se faire passer pour un petit saint. Mais vous le connaissez comme il faut, vous, père Chagru ?

— Un peu trop, pour mon malheur. Je puis bien vous dire ça à vous qui êtes un homme de mer et par conséquent un vrai cœur, — il ma raconté un peu de sa vie et ce n’est pas de l’eau douce. Il a fait de vilains coups dans l’Amérique et de l’autre côté aussi.

— Il a été dans l’Amérique ?

— Oui et il s’est marié avec une fille riche, la fille d’un juif…

— Comment ! mais si c’était !…

— Tonnerre ! à présent ça me frappe aussi : c’est lui ! Et dire que je n’y ai pas pensé avant aujourd’hui. Nom d’un nord-est ! Ça cadre juste avec ce que vous m’avez conté l’autre jour ! En v’la une découverte !

— Chut, père, nous en reparlerons une autre fois et nous tâterons le terrain. Si c’est ça je lui promets une danse. V’la l’animal qui arrive. Quand on parle du diable, on voit ses cornes. Rentrons nos voiles.

En effet, Gilles Peyron, arrivait en ce moment et se jeta près du feu, haletant et trempé jusqu’aux os.

Tous les yeux se tournèrent vers lui pleins d’anxiété.

— Rien, murmura-t-il, en réponse à ces regards, rien ! Et pourtant Dieu sait si j’ai couru, si j’ai cherché !