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Page:Legendre - Sabre et scalpel, 1872.djvu/79

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ALBUM DE LA MINERVE.

mortelles heures dans un trou du rocher, avant de pouvoir m’échapper. Vous devez avoir entendu un coup de feu ; c’est dans ma direction qu’il a été tiré, et les bandits m’ont guetté constamment. Enfin, j’ai pu tromper leur vigilance et m’échapper sain et sauf. Je me dirigeais en toute hâte vers le château, lorsque sur la lisière de la forêt, j’entendis deux hommes qui causaient, dissimulés derrière un buisson ; je me cachai et j’écoutai. C’étaient deux soldats de Laurens, comme leur conversation me l’a fait connaître ; j’ai appris en outre par le même moyen que c’est aussi Laurens qui vous fait enlever et qui vous retient prisonnière ici. Je suis trop loyal pour croire à de semblables bassesses, et j’allais me lever pour châtier ces deux misérables qui calomniaient sans doute leur chef, lorsqu’une parole vint me frapper et me cloua sur place :

— C’est cette nuit qu’on l’enlève de la caverne, dit l’un des hommes, pour la transporter plus loin dans le bois, car notre officier craint l’Italien.

Je n’en entendis pas davantage, et, rebroussant chemin, je suis accouru en toute hâte ici pour vous sauver de leurs mains ou mourir en vous défendant.

Ernestine le remercia d’un regard qui le fit tressaillir de bonheur.

— Quand je suis arrivé à l’ouverture du passage qui m’avait déjà servi, je l’ai trouvé gardée. Ils étaient quinze ou vingt, je crois, armés jusqu’aux dents et disséminés autour de l’entrée ; il m’a fallu agir de ruse et d’audace et passer dans l’ombre à travers ces misérables. J’ai été aperçu, je crois, par l’un d’eux qui m’a tiré à bout portant. Enfin, grâce à Dieu ! me voici près de vous.

En ce moment, Ernestine aperçut le mouchoir ensanglanté qui serrait le bras de Pétrini.

— Blessé ! mon Dieu ! s’écria-t-elle…

— Ce n’est rien, dit Giacomo, une égratignure tout au plus ; — mais en disant cela, il dénouait le mouchoir et son sang se mit à couler. La jeune fille pâlit, mais sa force d’âme ne l’abandonna pas ; elle alla puiser de l’eau à la source et voulut elle-même panser la blessure.

Il la regardait faire, lui murmurant de ces douces paroles qui n’ont de sens que pour les amoureux, et qu’eux seuls savent dire et comprendre.

— Et maintenant, dit Pétrini quand le pansement fut achevé, il faut que je vous quitte ; nous allons probablement être obligés de soutenir un siége, car les bandits m’ont sans doute vu entrer ; il faut que j’avise aux moyens de vous défendre,… de vous sauver. Promettez-moi une chose : le combat sera rude et long ; j’ai trouvé moyen de faire parvenir un mot à quelques-uns de mes amis dévoués que j’attends d’instant en instant par le sentier qui m’a amené ici, si toutefois ils peuvent tromper les gardiens ou s’emparer d’eux ; — promettez-moi donc, quoique vous entendiez, de ne pas trop vous effrayer, et surtout de ne pas sortir d’ici. Et maintenant, Ernestine, adieu ! ou plutôt, au revoir ; je vais me cacher dans la crevasse en attendant mes compagnons ; n’ayez pas peur, je serai près de vous, et priez Dieu qu’il nous vienne en aide.

Il s’éloigna et se rendit dans la caverne d’entrée pour prendre quelques instants de sommeil, avant l’arrivée des autres.

Il dormait à peine depuis deux heures quand l’entrée de Luron, avec une quinzaine d’affidés, le réveilla en sursaut.

Luron, paraissait dans un état d’excitation extraordinaire.

— Nous sommes gardés à vue, dit-il, en entrant ; et j’ai cru que nous ne réussirions jamais à monter : Si le jour avait été un peu plus avancé, ils nous embranchaient du premier jusqu’au dernier !

Pétrini s’approcha de lui avec intérêt, après avoir jeté un coup d’œil tout au tour.

— Au moins vous n’avez pas eu d’accident sérieux ? dit-il.

— Seulement ceci, dit Luron en montrant son chapeau, troué d’une balle tout au niveau de la tête ; s’il avait tiré un pouce plus bas, j’y étais. Toujours que nous voilà, dix-huit en tout, assez bien armés, mais des provisions pour 36 heures seulement.

— C’est bien, dit Pétrini, préparons-nous, car dans une heure, probablement, nous serons attaqués ! Comme il allait continuer, un bruit se fit entendre dans le couloir et le museau effaré de Gilles Peyron, se présenta suivi du reste du corps qui arriva comme une bombe.

— Enfin, cria-t-il, entre deux énormes soupirs, nous y voilà ! ne m’interrogez pas, dit-il en répondant aux regards inquisiteurs qui se tournaient vers lui, je vous conterai cela plus tard : À l’œuvre, car nous n’avons pas de temps à gaspiller !

Puisque vous voilà ; dit Pétrini en s’adressant à son lieutenant, je vous laisse organiser un peu la défense de ce côté-ci, pendant que je ferai le tour des cavernes. Entendez-vous ! vous autres ! cria-t-il aux hommes, obéissez-lui comme à moi, et qu’on se mette à l’œuvre : question de vie et de mort : souvenez-vous que dehors la corde vous attend. Allez !


Il se dirigea lui-même vers l’une des cavernes, pour préparer ses armes et ses moyens de fuite en cas de défaite.

Bientôt toute la grotte fut comme une ville assiégée ; chacun allait et venait ; c’était un mélange de voix et de bruits étourdissants.

À voir ces préparatifs, on comprenait que la défense serait sérieuse.

De temps à autre, la voix grêle de Gilles dominait le tumulte et commandait un mouvement, puis les marteaux et les pioches réprimaient leur allure et grinçaient sur le roc.

— Courage mes gars ! disait Gilles, si nous mourons ici, nous aurons du moins la conscience d’avoir tout fait pour vous épargner cette petite douleur.

Et les travaux reprenaient leur train ; les hommes travaillaient pleins d’ardeur, soutenus, en outre, par quelques rondes de vieille Jamaïque que Gilles Peyron savait distribuer à son heure.

Nous laisserons maintenant la caverne pour revenir à Gustave Laurens. En quittant le château, il avait envoyé un détachement garder les abords du Pic Bleu, et veiller à ce que Pétrini ne pût pas s’échapper.

Trois ou quatre heures après, il était aux portes de la demeure de Maximus avec cinquante hommes résolus et bien armés.

— Je vous prends un peu à bonne heure, dit-il à Maximus éveillé en sursaut, mais nous n’avons pas