Page:Legouvé - Dernier travail, derniers souvenirs, 1898.djvu/64

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avait quatre-vingt-trois ans, était paralysé des deux jambes, et m’appelait son frère… parce que, dans sa jeunesse, il avait joué le rôle d’Abel dans la tragédie de mon père. Vous jugez si je le faisais causer sur les acteurs d’autrefois, et un jour où nous parlions de Molé : « L’avez-vous vu dans le Misanthrope ? – Si je l’ai vu ? Je jouais Philinte à côté de lui – Eh ! bien, qu’était-il dans ce rôle ? – Oh ! monsieur ! » Et là-dessus, mon paralytique se soulevant dans son fauteuil sur ses deux poignets me dit d’une voix vibrante : « Oh ! monsieur ! Il lui partait des étincelles de ses manchettes ! – Comment ! des étincelles !… C’était donc un rôle brillant ? – Brillant ! Dites donc étincelant ! Du reste, voyez la pièce !… Molière n’y a mis que trois femmes, elles sont toutes trois amoureuses d’Alceste. »

Ces mots me frappèrent très vivement alors, et me restèrent dans la mémoire. J’ai vu, depuis ce temps-là, tous les acteurs qui ont joué le Misanthrope : Damas, Périer, Geffroy, Lafontaine, Bressant ; ils y faisaient preuve de qualités réelles, aucun ne m’a satisfait complètement. Tous me paraissaient trop sombres, trop moroses, de trop désagréable humeur. Il me vint alors l’idée de relire le