Rousseau raconte avec complaisance que, le jour de la publication de la Nouvelle Héloïse, une grande dame, ayant reçu le volume, au moment où, tout habillée pour le bal, elle s’apprêtait à partir, elle se mit, en attendant sa voiture, à lire les premières pages et qu’elle ne se leva de son canapé qu’après avoir achevé le livre, à trois heures du matin.
Or, que reste-t-il aujourd’hui de ce roman qui passionnait si vivement l’imagination des femmes d’autrefois ? Presque rien qu’un nom ; je suis sûr qu’il n’a pas vingt lectrices. Certes, ce ne sont pas les belles pages qui y manquent. Je pourrais citer telle ou telle lettre, d’une éloquence et d’une poésie merveilleuses. Mais la déclamation, la convention, la rhétorique, le pédantisme y gâtent tellement tout, qu’à vingt ans, au plus fort de mon enthousiasme pour Rousseau, j’ai jeté là le livre, d’ennui. Veut-on, du reste, en toucher du doigt le vice irrémédiable ? Qu’on relise les lettres de la véritable Héloïse de l’Héloïse d’Abélard. Quel contraste ! La passion parle là toute pure, comme dit Molière. Tout y est sincérité, élan naturel, mots partis du cœur, et cette belle image du vrai fait ressortir et rend insupportable tout ce qu’il y a de faux ou de factice dans l’œuvre