Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

juste. » A ce mot, il s’arrête court ! Il pâlit…, et marchant vers la porte, comme pour couper court à l’entretien : « Ah ! c’est la guerre, me dit-il… Eh bien, soit !… Vous écrivez dans le journal le Siècle, eh bien, attaquez-moi ! Attaquez-moi ! » Et il me congédie. Je reviens chez Goubaux, la tête fort basse, et je lui conte le triste succès de mon ambassade. Le lendemain, à dix heures, il recevait du ministère l’autorisation de changer le titre de pension Saint-Victor contre celui de collège François Ier. M. Villemain avait reculé devant un article que je n’aurais jamais fait.

C’est vers ce moment que les envahissements des jésuites firent éclater ce formidable tolle, d’où sortit, comme par une sorte d’évocation, le diabolique et terrible personnage de Robin, dans le Juif errant d’Eugène Sue. Troublé par cette effervescence générale, M. Villemain fut saisi d’une terreur étrange : la terreur des jésuites. Il en voyait partout. Il se croyait l’objet de leurs persécutions. S’égarait-il un papier dans son cabinet, c’étaient les jésuites qui le lui avaient dérobé pour s’en armer contre lui. Les garçons du bureau, les employés, les chefs de service même, lui semblaient autant d’espions mis auprès de lui par les jésuites pour le dénoncer ; si bien qu’un jour, après le conseil des ministres, le roi Louis-Philippe dit à M. Guizot, de qui je tiens le mot : « Ah ! çà, mon cher monsieur Guizot, vous ne vous apercevez pas d’une chose, c’est que votre ministre de l’instruction publique devient fou. »