Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/152

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Tout ceci se passait et se disait sur le boulevard Montmartre, en face du passage des Panoramas, où nous avions, M. de Jouy et moi, rencontré Rossini sortant de chez lui. Il avait une barbe de dix ou quinze jours. « Vous regardez ma barbe, nous dit-il en riant, c’est un vœu. Je suis en train d’achever mon orchestration, et pour m’empêcher d’aller dans le monde, j’ai juré de ne me raser que quand ma besogne serait achevée. ― Êtes-vous content ? lui dit M. de Jouy. ― Assez, reprit-il en souriant. Je fais du chevalier Glück, avec mes idées à moi ! Mon grand travail porte sur les basses et sur les récitatifs. Écoutez aussi les airs de danse ; ils sont tous un peu tristes, comme il convient à un peuple dans cette situation. Enfin, mon cher ami, tranquillisez-vous. Quelques vers sont peut-être mauvais, mais le poème est bon, et j’espère que je ne le gâterai pas. » On sait le résultat. Le jour de la première représentation, l’ouverture eut un succès formidable. Grand effet au premier acte. Tout le second est un long triomphe ! Le troisième et le quatrième actes, froids. Rossini, en entrant dans le salon de M. de Jouy, à minuit, nous dit : »C’est un quasi fiasco. »


III

Cette vie si brillante finit doucement et tristement. Arrivé à un âge avancé, ses jambes fléchirent, son imagination