Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/201

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mon père avait à côté de lui une femme spirituelle, distinguée, d’humeur vaillante, qui jura, elle, que la pièce serait jouée, et jouée au Théâtre-Français, et jouée par ordre de l’empereur ; cette femme était sa femme. Comment s’y prit-elle ? Bien simplement. Mon père était très habile lecteur ; elle lui fit lire trois fois sa tragédie devant si nombreuse et si haute compagnie, que le bruit du succès arriva jusqu’à Saint-Cloud, et un matin, pendant le déjeuner, on entendit dans la cour de la maison habitée par mon père et que j’habite encore, on entendit le piaffement d’un cheval, les éclats de voix d’un cavalier. Qu’était ce cavalier ? Un soldat d’ordonnance. Qu’apportait-il ? Un ordre de l’empereur. Mon père était mandé le lendemain à dix heures au château de Saint-Cloud, pour lire au souverain sa tragédie de la Mort de Henri IV. Quoique sûr de lui-même comme lecteur, il emmena Talma et le chargea de lire à sa place. Il voulait, lui, rester libre d’yeux et d’oreilles, pour observer son royal spectateur.

L’empereur l’attendait dans un petit salon, avec l’impératrice Joséphine et deux généraux.

Tout le temps que dura la lecture, Napoléon se levait à tous moments, marchait dans la chambre, donnait des signes de contentement, laissait échapper des mots de sympathie, répétant fréquemment : Le pauvre homme !Le pauvre homme ! Un vers seulement amena une objection de sa part. Henri IV, dans une scène avec Sully, disait : « Je tremble ! »

« Ce mot est impossible, monsieur Legouvé, dit vivement l’empereur, il faut le retrancher.