Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/204

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— Dont m’a parlé M. le ministre de l’intérieur ?

— Oui, monsieur.

— Eh ! mon enfant, qui vous a donné l’idée de jouer la tragédie ?

— C’est moi, monsieur. Mon père est aubergiste à Valenciennes. Une troupe de comédiens a passé dans notre ville. J’ai été les voir. Ils ont joué une tragédie nommée Phèdre, et depuis ce temps-là je me suis dit que je ne ferais jamais autre chose que de jouer la tragédie.

— Est-ce que vous savez quelques vers de Phèdre ?

— Je les sais tous, monsieur.

— Ah ! Eh bien, dites-moi la grande scène du troisième acte avec Œnone. »

Au vingtième vers, il l’arrêta :

« Cela suffit, mademoiselle. Revenez tous les jours à midi. Je vous ferai travailler. »

Qu’avait-il donc trouvé en elle pour compenser tant de disgrâces physiques ? La voix ! Une voix admirable, sonore, pleine, riche, une voix qui avait naturellement tant d’émotion, que l’actrice aurait pu se dispenser d’en avoir. Quelques mois plus tard, on lisait sur l’affiche du Théâtre-Français : « Débuts de Mlle Duchesnois, élève de M. Legouvé. » Oui ! Un membre de l’Académie française, un poète dramatique applaudi, consentait à figurer sur une affiche de spectacle, comme professeur d’une tragédienne. L’oserions-nous aujourd’hui ? je ne le crois pas. La tragédienne ne fit pas honte à son maître. Son succès fut un triomphe ! Triomphe d’autant plus glorieux qu’elle avait pour