Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/227

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imaginez-vous Eugène Delacroix grand dessinateur, ou Ingres grand coloriste.

Son premier début fit sensation. Il avait à peu près vingt ans. L’assaut avait lieu au Vauxhall, devant une réunion considérable. Lorsque le jeune Bertrand s’avança avec son agréable figure, ses cheveux naturellement frisés, son costume soigné et même coquet ; lorsque, revêtu d’un gilet en coutil blanc qui dessinait sa fine taille et sa large poitrine, d’un pantalon blanc et collant qui montrait la perfection élégante de ses formes, il commença à tirer le mur, et y déploya cette grâce de mouvements et cette solidité d’attitude qui sont restées une de ses gloires, la salle entière éclata en applaudissements ; on se croyait en Grèce, on s’imaginait voir un jeune athlète aux jeux olympiques.

Ce premier succès fut pour Bertrand un nouveau stimulant au travail. Il s’imposa à lui-même une épreuve plus dure que les leçons paternelles. Il souda ensemble, et l’une sur l’autre, trois lames de fleuret ; puis il s’exerça à faire jusqu’à cent vingt doubles-contres de quarte, à grande vitesse, avec ce triple fer ; au bout de ce travail, une lame ordinaire lui semblait bien légère, et il y acquit une telle puissance de main, que quand il vous enveloppait dans ses parades circulaires, on se sentait pris comme dans un engrenage. Enfin il compléta l’éducation de ses jambes et de ses poumons par une lutte qui rappelle encore les jeux de l’antiquité : les jours de fête cantonale, il allait dans les environs de la ville disputer le prix de la course et le remportait presque toujours. Ce fils de Paris était un vrai fils d’Athènes.